Nuit Debout et ses somnambules

mardi 29 octobre 2019
par  LieuxCommuns

Échange mail dans les mois qui ont suivi le mouvement social contre la « Loi Travail » et « Nuit Debout », au printemps 2016.


Objet : Proposition d’un texte sur une suite possible à « Nuit Debout »
De : D.
À : Lieux communs
Date : 30 juil. 2016

Bonjour à vous,

Votre réflexion m’apparaît essentielle, en ce qu’elle touche à la question : « quelle civilisation voulons-nous ? » Au lieu de vous restreindre au seul champ économique, vous pensez une alternative globale au modèle libéral-capitaliste. La gauche classique, orpheline d’utopies et d’élan, ne propose plus que des objectifs matériels, insuffisants pour remédier au « besoin de sens ». Seuls les islamistes d’un côté, et les conservateurs/réacs d’un autre, mettent en œuvre une vision du monde globale, assignant à l’individu une finalité qui le dépasse.

Par ailleurs, la gauche, à part quelques trop rares exceptions (dont vous), n’ose pas aborder sur le fond le problème de l’islamisme et son idéologie – traiter de « fous » ou de simples victimes de la relégation sociale ses militants n’est pas la bonne grille d’analyse.

Plus globalement, nous sommes en manque d’utopies libertaires, qui respectent les individus sans les restreindre à leurs seuls désirs matériels.

Dans la perspective des « utopies concrètes », j’ai été à « Nuit Debout » et j’en ai rapporté la discussion suivante ; la Gazette de Nuit Debout, censée être ouverte, ne l’a pas publiée. Peut-être vous intéressera-t-elle...

Au plaisir d’échanger avec vous,

D.

Échange à Nuit Debout/Paris : une suite possible du mouvement avec le débat méthodique généralisé ?

Je passe Samedi vers 18h pour découvrir Nuit Debout, et suis tout de suite séduit par la possibilité de discuter avec tout le monde, de tous âges et milieux, en abordant directement des questions importantes. Ici, pas de fermeture a priori, au contraire on semble à l’écoute et prêt au débat avec qui vient. Petits groupes de 5 à 60 personnes abordent des thèmes précis, tandis que des individus discutent de façon informelle.

Je vois un jeune couple qui participe de façon active à une commission, et je l’avise à la fin de son travail :

Moi : Je crois qu’aujourd’hui pour la plupart, nous ne savons plus où nous en sommes. Tout a échoué : le libéralisme, le communisme, le nationalisme, et maintenant on voit que nos régimes libéraux-démocrates ne se portent pas non plus très bien... Il faut repartir de zéro et repenser à nouveau frais nos sociétés. Pour cela je propose de créer de grands débats sur les questions essentielles, par exemple notre modèle de développement (croissance ou décroissance ?), l’énergie, la construction européenne etc. Comme personne n’a la vérité a priori, il faudrait inviter les différents courants de pensée à exposer leurs options. Dans un tel projet révolutionnaire, des libéraux débattraient avec des décroissants, pour aller au fond de la querelle et voir qui a les meilleurs arguments... Et ainsi pour chaque grande question.

Lui : Mais on voit ce que cela donne, les débats de ce genre à la télévision. C’est stérile.

Moi : Justement, il ne faudrait pas en rester au niveau superficiel des débats-spectacles. Il faudrait prendre le temps de sérier chaque argument, de l’examiner, de recourir à des sociologues, historiens, économistes de différentes écoles etc., pour le décortiquer, le réfuter ou le conserver... Ce serait des débats à froid, sur un temps long, par exemple sur le Net – où on peut séparer chaque option, ses arguments principaux, et thésauriser les résultats. Dans un tel contexte, ce ne serait pas grave d’inviter ses adversaires à débattre, puisqu’on aurait tout le temps pour les réfuter.

Lui : Je ne suis pas sûr qu’il y ait consensus sur les questions à aborder. L’opposition croissance/décroissance par exemple ne me semble pas forcément la vraie question...

Moi : Ce n’est pas grave. Ceux qui considéreront qu’un débat n’est pas pertinent n’y participeront pas...

Elle : Si un tel débat aboutit à un consensus, comment fera-t-on passer ce consensus dans les faits ? Imaginons que les débatteurs arrivent à déterminer qu’il faut renoncer à l’énergie nucléaire, comment imposer cette décision ? On se retrouvera devant l’Assemblée nationale et elle ne tiendra pas compte de ce qui a été déterminé par le débat.

Moi : C’est vrai, je n’ai pas considéré cette question. Pour moi, la question c’est d’organiser des débats méthodiques sur les questions de fond (ou des questions brûlantes).

Elle : Moi, ce qui m’intéresse, c’est la façon dont le pouvoir prendra en compte de tels débats, ou plus généralement ce que veulent les citoyens.

Moi : D’accord, mais c’est un second temps. D’abord il faut des débats qui dégagent certaines idées. Mais rien n’empêche d’autres de penser au débouché politique de ces débats !

Elle : En fait, ce que tu proposes c’est un projet de type habermassien. Or il y a eut de telles initiatives, où l’on cherchait à trouver un consensus, et elles ont échoué.

Moi : Je suis étonné par ce que tu dis. Je n’ai pas souvent entendu parler de débats ouverts à tous les courants d’idées. Les think tanks par exemple fonctionnent par chapelle : think tanks libéraux, socialistes, etc. As-tu des références précises ? Je serais curieux de comprendre les raisons de ces échecs.

Elle : J’ai lu des articles dessus, je te les enverrai.

Moi : Il y a eu les Conférences de Consensus, par exemple sur les OGM. Ces Conférences faisaient participer des citoyens de tous milieux, qui arrivaient à des décisions intéressantes. Il y a même eu une loi dans un pays scandinave qui obligerait les députés à tenir compte des résultats de ces Conférences. Mais celles-ci n’abordaient que des questions science/société. Il faudrait exporter leur méthode pour des discussions sur l’économie, la géopolitique, voire l’éthique ou la philosophie !

Elle : Je ne crois pas que les Conférences de consensus ont donné d’aussi bons résultats...

Moi : Tu te trompes. Sur ce sujet, tu peux lire Agir dans un monde incertain, de Callon, Lascoumes et Barthe.

Lui : Mais tu crois dépasser le conflit. Or il y a toujours du conflit, le conflit est irréductible.

Moi : De quel conflit parles-tu ?

Lui : Cela dépend du contexte, ce peut être un conflit entre forces sociales, un conflit pour du capital symbolique, des places... Le conflit n’est pas dépassable. Il n’y aura pas de consensus car les différents arguments expriment les positions de classe, d’intérêts, etc.

Moi : Dans ce cas, tu es libéral ! Tu penses qu’il n’y a rien à faire, qu’à laisser les rapports de forces se déployer, qu’il n’y a pas un niveau supérieur où l’on puisse se placer, pour voir par exemple qui a raison, ou encore trouver un Bien commun...

Lui : Le marxisme est un libéralisme amélioré ! Il n’y a pas de consensus entre des forces antagoniques, et chaque groupe humain se définit à partir de ses ennemis.

Moi : Alors que fait-on des ennemis, des riches, des exploiteurs, des fascistes, etc., on les tue ?

Lui : Non non ! Je vois ici, sur cette place, que les gens sont tous d’accord avec ce que l’on dit. On fait des élections, et on gagne.

Moi : Pour moi, les élections consistent à compter les forces du groupe X contre les forces du groupe Y. C’est une majorité qui impose ses conceptions à une minorité. Ce n’est pas forcément les meilleures idées qui gagnent, sauf s’il y a eu avant un débat méthodique permettant d’exposer tous les arguments de chaque camps.

Peut-être as-tu raison, peut-être que les conflits de classe ou de valeurs ne peuvent pas être dépassés. Mais on ne peut pas le dire a priori, avant d’avoir tenté le débat méthodique et ouvert ; on n’a jamais essayé ce que je propose : permettre aux différentes conceptions de discuter jusqu’au fond – sauf peut-être avec Socrate. Et si on essayait ?

PS. Je suis bien sûr conscient qu’il existe de sérieuses objections à un tel projet de « débat généralisé » ; Max Weber considérait les conflits de valeurs comme irréductibles, Marx ceux de classe, etc. Je n’ai pas pu développer les réponses à ces objections philosophiques (...). Par ailleurs il existe aussi des difficultés pratiques : quelles sont les questions essentielles qui devraient être débattues ? Comment structurer ces débats ? Etc.

Objet : Pour vos « documents extérieurs »
De : D.
À : Lieux Communs
Date : 30 juil. 2016

Bonjour à vous,

Suite à l’article de J. Quatremer dans « Libé » qui avait pour but d’attaquer les fondements intellectuels des référendums, j’ai trouvé ce texte qui pourrait vous intéresser :

Après le Brexit, inventer une démocratie éclairée
https://www.causeur.fr/brexit-refer...

Au plaisir de connaître vos réactions à ce texte, qui, à la fin, ne fait qu’esquisser une solution concrète de démocratie directe. Solution qu’il faudrait développer par ailleurs.

D.

Objet : Re : Pour vos « documents extérieurs »
De  : ’Lieux Communs’
À  : D.
Date : 10 août 2016

Bonjour,

Merci de vos envois.

L’article de J. Quatremer fait partie de ces réactions épidermiques de l’oligarchie face toute expression populaire qui ne va pas dans son sens – et l’article lui répond quant au fond, mais nous semble bien optimiste sur la nature et les tendances actuelles du régime oligarchique…

Quelques textes où nous abordons ces problèmes :

Contre la Constituante – La démocratie directe sans le peuple ?
https://collectiflieuxcommuns.fr/72...

Introduction générale à la brochure ’Démocratie directe : Principes, enjeux, perspectives’
https://collectiflieuxcommuns.fr/67...

Entrée en période troublée
https://collectiflieuxcommuns.fr/53...

A vous de nous dire ce que vous en pensez...

Cordialement

LC

Objet : Re : Pour vos « documents extérieurs »
De : D.
À : Lieux Communs
Date : mercredi 10 août 2016

Bonjour,

merci de votre réponse.
Il me semble que ce texte sur le Brexit ne suppose pas que l’oligarchie créerait elle-même les conditions d’une vraie démocratie. Quant à moi, je ne fais pas un tel pari. Je ne suis pas optimiste, mais utopiste : j’appelle et j’espère que des individus en auront assez de jouer le jeu habituel des guerres idéologiques, du combat des groupes divergents qui chacun se heurte aux autres comme des boules de billards dans un jeu sans fin, certitudes contre certitudes, libéraux contre marxistes, décroissantistes contre productivistes et ainsi de suite à l’infini.

Kant décrivait les doctrines métaphysiques qui luttent sans fin et sans pouvoir arriver à une sorte de dépassement ; on en est toujours là, tant sur le plan des philosophies que des visions politiques ou religieuses. Que faire de ces lutteurs ? Actuellement, ils ont choisi pour se départager la méthode du comptage des troupes, chaque camp évaluant son nombre de partisans pour savoir s’il va imposer sa vérité aux autres (et on appelle ça ’démocratie’).

J’espère qu’il y aura un jour quelques personnes qui penseront, comme Socrate, que l’on peut aborder toutes les questions fondatrices de la civilisation en repartant de la ’raison’ , et en faisant participer et se confronter les différentes vérités. J’ai espéré qu’un mouvement comme Nuit Debout pourrait promouvoir de tels débats de fond sur les questions économiques. Mais Nuit Debout, en excluant tels ou tels du débat, retombe dans l’esprit de parti-pris qui est justement ce qui nous tue.

Quand donc des individus seront prêts à ’chercher la vérité’ ensemble, sans se croire détenteurs a priori des idées justes ? Cela semble une véritable révolution existentielle, et tant que nous ne l’accomplirons pas, il me semble qu’on en restera aux affrontements entre visions du monde parcellaires et groupes enfermés dans ces visions du monde...

Je lirai bien sûr avec intérêt vos textes.

Bien à vous,

D.

Objet : Re : Pour vos « documents extérieurs »
De : Lieux Communs

À : D.
Date : 24 août 2016

Bonjour,

Bien d’accord avec vous sur la nécessité de la contradiction et son absence calamiteuse dans le mouvement ’Nuit Debout’, l’obligeant à tourner en rond, et pas seulement sur des questions économiques, malheureusement.

Il est clair que la recherche de la vérité n’intéresse plus grand monde et que le temps est au psittacisme, au narcissisme, à l’arrivisme et au consensus mou : dès qu’un point de vue argumenté est avancé, s’il a le malheur de ne pas rentrer dans les cases pré-établies, il est tout simplement ignoré, fuit méthodiquement comme la peste. ’On’ attend une ’pensée’ (!) qui fasse la part belle à l’égocentrisme de chacun et mette tout le monde d’accord, sans clivage, conflit, effort... ou même lecture.

C’est l’époque, le monde dans lequel nous vivons. Peut-être les affrontements qui arrivent vont-ils nous sortir de cette torpeur d’un demi-siècle...

Cordialement

LC

Objet : Re : Pour vos « documents extérieurs « 
De : D.
À : ’Lieux Communs’
Date : 25 août 2016

Bonjour ,

Je ne sais pas si il y aura vraiment des affrontements, ou du moins plus qu’il n’y en a aujourd’hui. J’ai plutôt l’impression d’un lent pourrissement, d’une perte de sens diffuse, non consciente, de l’envahissement par la superficialité et le non échange sur les questions de fond (qui fâchent, bien sûr...).

Pensez-vous qu’il y a une autre issue ?

Souvent je me dis que ce serait intéressant de proposer une réunion de prospective, avec pour thème : ’comment voyez-vous les 10, les 20 prochaines années en France et en Europe ?’

Et vous, comment les voyez-vous ?

Au plaisir de vous lire,

D.

Objet : Quelques ajouts Re : Pour vos « documents extérieurs »
De : D.
À : ’Lieux Communs’

Date  : jeudi 25 août 2016

Rebonjour,

Je crois que ce que j’ai le plus de mal à comprendre dans notre société, c’est la satisfaction des gens. Je crois (je crains) qu’ils ne soient pas assez insatisfaits pour remettre en cause le système (ou leur idéologie préférée)... Finalement, ce mode de vie leur convient et les reflète.

D’où notre difficulté à faire bouger les choses.

Je ne veux qu’une chose assez simple, presque triviale : organiser des débats un peu méthodiques sur les questions de fond – politiques et philosophiques. Je constate que ça ne mobilise personne ni les intellectuels, d’ailleurs). Pour aller manifester, combattre le racisme ou aller en discothèque, là il y a du monde...

Nous prenons les plaintes contre le système au sérieux, alors qu’elles se détachent sur un fond de satisfaction relative, certes, mais suffisante...

Objet : Re : Quelques ajouts Pour vos « documents extérieurs »
De : Lieux Communs
À : D.

Date : 26 août 2016

Bonjour,

Relativement à la question de votre précédent mail sur notre manière d’envisager l’avenir, le texte déjà envoyé ’Entrée en période troublée’ contient quelques éléments de réponse.

Mais pour y répondre plus directement, ce texte me semble indispensable :

Préliminaire à toute réflexion sur les troubles en cours et a venir
https://collectiflieuxcommuns.fr/18...

(très bien complété par La quatrième guerre mondiale s’avance : https://collectiflieuxcommuns.fr/18...] )

Il ramasse magistralement les conditions d’une discussion possiblement intéressante sur les décennies qui viennent et tracer des perspectives qui méritent réflexion. Il condense beaucoup de choses, développées, argumentées ou nuancées dans d’autres textes indexés sous le mot-clef ’Prospective’ du site, entre autre.

Nous en avons repris quelques éléments d’ailleurs pour esquisser, en conclusion, la possibilité de l’institution d’une démocratie directe là, c’est-à-dire la ’question de la transition’ :

Ce que pourrait être une société démocratique (5/5)
https://collectiflieuxcommuns.fr/82...

Nous avons longtemps caressé l’espoir d’organiser des discussions larges autour de ces questions, et avons participé à quelques-unes. Mais, se surajoutant à ce que je pointais dans le dernier mail, plusieurs obstacles empêchaient des échanges convenables, et d’abord la tonalité fortement dépressive des personnalités (il n’est pas difficile de s’apercevoir de l’état lamentable de nos sociétés dans n’importe quel domaine) mais recouverte par un déni paralysant, ce qui biaise le moindre constat objectif. Ensuite c’est, impliqué par ce qui précède, l’approche mono-factorielle / mono-thématique des individus, préférant ignorer tel ou tel aspect : on considère le délabrement culturel, mais on ne se préoccupe pas de l’état du parc nucléaire ; on peut être soucieux du naufrage écologique, mais les interrogations identitaires n’ont pas place ; la surenchère technologique est analysée, mais l’angle géopolitique est escamoté ; lorsque ce dernier est considéré, on évite la question de l’attrition des ressources énergétiques ; etc... Lorsqu’on argumente, la posture de déni se transmue immédiatement en catastrophisme et l’intérêt intellectuel s’arrête là.

Cette situation est congruente avec l’état de la population : la situation actuelle est sourdement perçue comme un havre de paix au milieu d’un monde hostile, un œil du cyclone de paix et de sérénité isolé dans une histoire de bruit et de fureur — et cela est loin d’être faux, ou l’est de moins en moins... La terreur que cette dernière redémarre paralyse la moindre volonté de voir clair dans ce qui est en train de se passer, sans que cela puisse se dire. D’où le badinage actuel, l’angoisse intense, la demande de Père, de Solution, et les délices de la plainte...

Tout cela a déjà été dit, et mieux, par des gens comme Castoriadis, Gauchet, Lasch, Le Goff, etc.

Mais cette situation est méta-stable, ou en surfusion : elle va basculer dans autre chose, même si les facteurs déclenchant sont littéralement imprévisibles. La question est donc : jusqu’à quand ? Et : quel sera le déclencheur ? Et, subsidiairement, quelles seront les réactions des diverses segments des populations ? Et cela, il n’y a que l’histoire qui va nous le dire.

Cordialement

LC

Objet : Re : Quelques ajouts Pour vos « documents extérieurs »
De : D.
À : ’Lieux Communs’
Date : 27 août 2016

Bonjour ,

Les analyses présentées dans ces différents textes tablent sur une phase de crise aigüe : pic pétrolier, crise écologique, voire conflit militaire majeur...

Rien de tout cela ne semble se réaliser, du moins à horizon des 10 prochaines années. (A moins d’une multiplication effrénée des actes terroristes, et encore, cela n’équivaudra pas à un effondrement économique ni à une explosion de centrale nucléaire en Alsace...).

Cela fait 20 ans que je me dis que le système monétaire, étant irrationnel et fragile, devrait s’effondrer. Il ne s’effondre pas et réussi à chaque fois à se récupérer in extremis. Cette façon de ’se récupérer’ laisse donc place non à des crises paroxystiques, qui mettraient des dizaines de millions de gens à la rue et les obligeraient à trouver des alternatives, mais à une sorte de dégradation insidieuse.

C’est le pourrissement généralisé. Regardez les prochaines élections présidentielles. Que faire dans ce cas ? Comment mobiliser des gens qui s’endorment ou se perdent dans des causes secondaires ?

Vous dites dans votre mail qu’il y a une réelle difficulté à penser et considérer simultanément tous les fronts : culture, écologie, énergie, biodiversité, institutions, etc.

Il me semble qu’il y a 3 pistes de solutions, que vous évoquez :

  • la contre-société. Elle est relativement embryonnaire mais pourrait se révéler essentielle en cas de crise majeure. J’ai participé à des réunions sur les écovillages voilà des années, mais ils restent très peu nombreux.
  • la fondation d’une pensée alternative globale, qui propose un contre-modèle et vise à prendre le pouvoir. Cette contre-pensée serait écologique, décroissante, pour la démocratie directe, etc. Elle résoudrait alors d’un coup la cascade de problèmes enchevêtrés que vous évoquez.

Néanmoins, à mon avis de nombreux obstacles se dressent devant cette possibilité, dont :

  • la relative satisfaction de la plupart des gens (classes moyennes), qui s’accommodent du système tel qu’il va ;
  • l’attachement de nombreux intellectuels de gauche à des schémas dépassés (scientisme du XIXème siècle, productivisme etc.) et leur refus du débat (cf. Lordon et Nuit Debout : on ne construira rien si on commence par virer les gens qui contre-argumentent, les méchants fachos etc.) ;
  • le refus de considérer les questions de fond, de sens et de transcendance. Or l’être humain est un être métaphysique. Vouloir concevoir un modèle sans envisager une réponse au problème métaphysique me semble difficile. Quelle civilisation sans métaphysique sous-jacente a-t-elle duré ? C’est là où les islamistes cognent, et sur ce point ils ont en partie raison.

Il me semble possible d’élaborer une métaphysique libertaire, en s’appuyant sur une vision de l’univers qui fasse place au mystère, voire à une forme de spiritualité sans dogme (cf. Muchel Hulin, La mystique sauvage, Puf 2003).

Pour résumer, une solution me semble que de petits groupes proposent des débats sur les problèmes de fond (qui sont nombreux, mais pas en nombre infini non plus). Vous semblez objecter que vous n’avez pas pu mener de tels débats, car il y a trop de sujets.

Il peut y avoir plusieurs groupes, traitant chacun un grand dossier : problème de l’énergie ; problème de l’école/l’éducation ; problème de l’architecture institutionnelle ; économie ; etc.

Ces groupes pourront voir les grandes réponses proposées au problème, et essayer de trouver la meilleure. C’est ainsi qu’un programme politique alternatif pourrait émerger, en partant sans a priori et en comparant les arguments de tous. À mon sens c’est ce qu’aurait dû faire Nuit Debout.

Voilà quelques éléments, en espérant poursuivre cet échange,

Bien à vous,

D.

PS : Si d’ici 10 ou 15 ans il a une crise majeure, je ne vois en effet comme possibilité que la ’contre société’ actuellement embryonnaire. Combien y a-t-il d’écovillages en France ? Quelques dizaines...

Vos scénarios sont bien exposés, mais il manque le scénario actuel, et les réponses à y apporter.

les analyses que vous m’avez envoyées suscitent plusieurs réflexions succinctes.

Objet : Re : Quelques ajouts Pour vos « documents extérieurs »
De : Lieux Communs
À : D.

Date : 1 septembre 2016

Bonjour.

Une petite précision préliminaire : la démocratie directe ne ’résout’ rien du tout, et surtout pas les problèmes que nous évoquons. C’est très précisément le contraire, comme nous le disons et l’écrivons régulièrement : la démocratie directe est exactement le début de tous les problèmes.

C’est le moment où les gens se posent toutes les questions et tentent d’y apporter des réponses, leurs réponses. Ou échouent, se trompent et recommencent – ou élisent un dictateur...

Cela implique que sortir de notre impasse civilisationnelle par ce biais, par ’le haut’, exige que les populations le veuillent d’une part, et en soient capables, d’autre part. Et nous ne voyons ni l’un in l’autre. On peut toujours réunir les gens, mais on se cogne alors à la vacuité de ’Nuit Debout’, copie dégradée de la tentative grecque cinq ans auparavant, tout de même un peu moins grand-guignol :

Enjeux politiques et anthropologiques du mouvement grec pour la démocratie directe
https://collectiflieuxcommuns.fr/54...

Pour cette raison, nous sommes extrêmement sceptiques quant aux ’solutions’ à proposer ici et maintenant, à rebours de tous les réflexes militants où on avance des réponses avant même de formuler les questions. Si l’on pouvait au moins se poser les bonnes, ce serait pas mal, mais les dernières décennies montrent que cela ne se fera pas dans ou à partir des petits milieux gauchisants et médiatiques.

Vous proposez d’organiser des débats, des groupes de travail. Nous sommes partants, mais très circonspects pour les raisons déjà évoquées. (et il y a malentendu : nous ne disons pas qu’il y a trop de sujet, nous disons que les gens refusent de voir la réalité dans sa complexité et son état réel.)

Quant aux perspectives, nous partageons largement votre constat d’un pourrissement généralisé. Nous l’appelons ’montée de l’insignifiance’ dans la continuité d’un Castoriadis qui la voyait dès la fin des années cinquante (réaffirmé par exemple ici : La crise des sociétés occidentales : https://collectiflieuxcommuns.fr/67...)

Ici, deux écueils : l’illusion folle que notre présent est sans fin (versant positif de la « terreur de l’Histoire » d’Eliade) et le fantasme du catastrophisme (Catastrophes, catastrophismes — à propos du séisme d’Haïti : https://collectiflieuxcommuns.fr/34...). Entre les deux, l’analyse difficile de la réalité au regard de l’histoire.

La réalité montre un pourrissement, un délabrement de l’Occident, une ’décadence’ depuis, pour nous, plus d’un demi-siècle, et que tout cela s’approfondit, s’accélère. L’histoire quant à elle montre que tout pourrissement à une fin, tout délabrement un achèvement, toute décadence un orage final. Postuler un pourrissement sans fin me semble se rassurer à bon compte. Au vu de l’histoire des civilisations, ça ne s’est jamais vu : c’est un chaos (guerre/famine/épidémie) qui s’ensuit, ou un voisin qui en profite.

La question ne nous semble pas de se demander quel secteur sera décisif et provoquera seul l’effondrement, mais à quel moment les différentes ’crises’ indépendantes durant des décennies vont se nouer et entrer en synergie. C’est, croyons-nous, ce à quoi nous assistons : ce serait, un exemple entre mille, une Turquie s’enfonçant dans le chaos et libérant un afflux massif de migrants en Grèce, provoquant sa banqueroute et l’éclatement de l’Union européenne, donc une crise financière et, bien entendu, un assaut islamiste sans précédent sur une proie facile.

Enfin, vous évoquez la métaphysique ou la spiritualité. L’un de nous s’était un peu penché sur un de ses versants, il y a quelques temps (’Amour, liberté, politique’ : https://collectiflieuxcommuns.fr/?4...), je ne sais pas si on peut en tirer quelque chose aujourd’hui, mais la question est effectivement posée. Nous l’évoquions récemment dans un échange bref à propos de l’islamisme, justement :

https://collectiflieuxcommuns.fr/78...

Mais toutes ces questions sont graves et difficiles, elles demandent ce que nous n’avons plus, ou ne semblons plus avoir : du temps.

A vous lire

LC

Objet : Ajouts
De : D.
À : ’Lieux Communs’
Date : 1 sept. 2016

Bonjour ,

votre message est très dense et je vais y répondre par plusieurs mails, au fil de mes réflexions et des lectures de vos textes. Je préfère commencer par les premiers points :

LC. écrivait :

’Une petite précision préliminaire : la démocratie directe ne ’résout’ rien du tout, et surtout pas les problèmes que nous évoquons. C’est très précisément le contraire, comme nous le disons et l’écrivons régulièrement : la démocratie directe est exactement le début de tout les problèmes.

C’est le moment où les gens se posent toutes les questions et tentent d’y apporter des réponses, leurs réponses. Ou échouent, se trompent et recommencent — ou élisent un dictateur...’

Je pense qu’ici on a juste un problème de langage sur le mot ’résoudre’.

Pour moi un postulat est que nombre de problèmes sont en principe solutionnables par la raison —> Socrate. Après tout, jusqu’à présent, la Terre peut encore nourrir 10 milliards d’humains et offrir une vie possible à tous ; c’est donc un ’simple’ problème d’organisation, qui n’a rien d’insoluble en droit si on s’y colle. Alors le problème, c’est qu’on ne s’y colle pas !

Car le postulat socratique est mis en cause par les post-modernes, qui pensent que la raison ne conduit qu’à un jeu de dupe, que c’est un outil de domination au service de la volonté de puissance, de l’intérêt de classe ou ce que l’on voudra.

Si la raison est un simple outil de domination, alors il n’y a plus lieu de faire des débats, la démocratie n’est qu’un rapport de force déguisé et on ne ’résoudra’ rien, ni par la raison ni par autre chose. Au mieux, seule la violence permet d’obtenir une vague victoire, sans doute provisoire.

Ce qui conduit à dénouer votre deuxième argument :

LC écrivait :

« Cela implique que sortir de notre impasse civilisationnelle par ce biais, par ’le haut’, exige que les populations le veuillent d’une part, et en soient capables, d’autre part. Et nous ne voyons ni l’un in l’autre. On peut toujours réunir les gens, mais on se cogne alors à la vacuité de ’nuit debout’, copie dégradée de la tentative grecque cinq ans auparavant, tout de même un peu moins grand-guignol »

Ma réponse :

Les gens ont été formatés par le postmodernisme, le relativisme et le nietzschéisme de bazar. Ils ne croient donc ni en la fécondité d’un dialogue ’résolutoire’ ni en la possibilité d’un Bien commun, ou d’intérêts communs, ou d’un dépassement par le haut de quoi que ce soit - puisque tout n’est que ’perspectives’ et lutte d’intérêts parcellaires.

L’idée même du dépassement socratique des antagonismes et des apparentes impasses a déserté le champ de pensée des contemporains.

Avec ce formatage postmoderne, ils n’essaient même plus. Les Nuits debouts ne croient pas en la raison, ils adhèrent sans le savoir à une métaphysique qui voit dans le conflit d’agents et d’entités inconciliables le fonds du réel. Dans un tel contexte de pensée, pourquoi s’étonner que ’les gens’ ne veuillent pas de démocratie directe ? Ils n’ont plus les bases philosophiques qui rendent possibles cette démocratie directe.

Donc avant toutes choses il faut réhabiliter une chaîne conceptuelle (vérité-espace public-raison partagée), qui est le préalable. Sans cette chaîne conceptuelle, le débat n’a tout simplement pas de sens - on assiste à un simulacre de ’débat’.

LC écrivait :

« Pour cette raison, nous sommes extrêmement sceptiques quant aux ’solutions’ à proposer ici et maintenant, à rebours de tous les réflexes militants où on avance des réponses avant même de formuler les questions. Si l’on pouvait au moins se poser les bonnes, ce serait pas mal, mais les dernières décennies montrent que cela ne se fera pas dans ou à partir des petits milieux gauchisants et médiatiques. »

Je pense que vous soulevez the point. C’est ce que j’appelle ’l’esprit de parti’. On ne cherche pas tranquillement à poser et à résoudre des problèmes, on cherche à imposer une réponse préconçue. Et on se heurte à d’autres groupes, tout aussi organisés et décidés que soi, qui veulent aussi imposer leur solution préconçue. C’est atomes contre atomes, des mouvements de gauche, de droite, des libéraux, des décroissants, des nationalistes, un brouhaha de certitudes contraires qui se heurtent comme des boules de billard dans un jeu infini et à somme nulle !...

J’ai essayé de résumer cette problématique ici :

Sans la notion de vérité, la démocratie s’est dévidée, elle a perdu son épaisseur, sa substance, son aspect aventureux et exaltant pour se réduire à un formalisme juridique sans âme et sans projet. Consommation, jeux du cirque, procédures : tel est notre “monde commun”. Un véritable espace public ne naît pas d’un paysage aussi désert.

En considérant que le dialogue ne conduit qu’à des impasses, la vulgate du soupçon empêche la rencontre des cultures au niveau de profondeur indispensable. L’impossibilité présupposée de l’entente agit comme une prophétie autoréalisatrice.

A l’indifférence qui se changera en hostilité, je propose de substituer l’intranquillité du dialogue, de la remise en question mutuelle, qui, peut-être, nous remettra sur la voie de la philosophie et fera revivre la Légende de Cordoue. On raconte qu’en ces temps lointains, les sages des trois religions s’assemblaient pour chercher quelle est la vraie. Aujourd’hui, si l’on tentait à nouveau cette disputatio, il faudrait y adjoindre physiciens, bouddhistes, biologistes, et bien d’autres. Mais l’intention ne serait-elle pas semblable, celle de sortir des illusions en comparant les divers prismes du diamant ?

Comme quelques autres utopistes, je crois encore que le “débat généralisé” est possible et donnera sa moisson. Il comportera deux volets : la comparaison des faits que chacun reconnaît (ceci pour répondre au problème du différentiel des données selon les milieux etc.) ; une fois cette mise à niveau effectuée intervient la réflexion de second niveau, sur les interprétations que l’on peut tirer de ces faits. C’est ce que décrit excellemment l’épistémologue Philip Kitcher, qui répond par là mieux que je ne pourrais faire aux théories du Différend irréductible : « Les gens forment leurs croyances sur le monde en se fondant en partie sur leurs expériences et en partie sur des raisonnements ancrés dans ces expériences. La gamme d’expériences peut être plus ou moins étendue, et les capacités d’inférence plus ou moins développées. Lorsque l’on peut expliquer la variation des croyances en mettant en avant des différences dans l’étendue de la gamme d’expériences ou dans la fiabilité du raisonnement, il n’est en rien dogmatique d’affirmer qu’une des croyances en concurrence est vraie et que l’autre ou les autres sont fausses. »1 Le chemin tracé ici donne la formule pour sortir du maléfice des mondes incommensurables ; il décrit la façon de constituer du monde commun. Doit-on accuser cette ambition de naïveté ?

Ceux qui ne veulent pas ce débat généralisé sont naïfs à leur façon. Nous ne sommes plus à l’époque des Hussards noirs de la République, où, de gré ou de force, les Lumières étaient implantées et formaient le consensus moral de nos sociétés. Après le XXe siècle, le soubassement idéologique de ce système et ses prétentions sont sapés. Le pluralisme est une période transitoire. Il n’y aura que deux issues à ce moment : le débat ou l’éclatement, qui se trouve déjà préfiguré par la dialectique infernale du communautarisme et du nationalisme.

Pour la pratique et l’échange de données que je préconise, voir par exemple Ch. ROZJMAN et V. LE GOAZIOU, Comment ne pas devenir électeur du Front National, Desclée de Brouwer 1998. Dès cette époque, ils mettaient en œuvre des procédures concrètes de « partages d’expériences » entre personnes qui se regardent en chiens de faïences, faisant baisser les tensions sociales.

Philip Kitcher, Science, vérité et démocratie, PUF, coll. Histoire, science et société, 2010, p. 24. L’auteur traite ici des débats scientifiques ; j’élargis sans doute son intention en considérant que cette méthode est exportable à tous les débats.

J’espère que ces éléments vous auront intéressé !

Au plaisir de continuer cet échange avec vous,

D.

Objet : Re : Ajouts
De : Lieux Communs
À : D.

Date : 10 septembre 2016

Bonjour,

(...)

Je ne sais pas trop s’il me faut répondre dès maintenant à votre dernier mail puisqu’il se présentait comme le premier d’une série...

Juste une remarque, très globale : nous sommes tout-à-fait d’accord avec votre propos sur le relativisme, comme nombre de textes sur le site, et c’est même le nom d’une sous-rubrique (certes un peu délaissée) et d’un mot-clef, tout comme le post-modernisme d’ailleurs.

C. Castoriadis, d’ailleurs, exprime très crûment notre position en des termes qui, malheureusement, n’ont rien perdu de leur pertinence :

Réflexions sur le racisme
https://collectiflieuxcommuns.fr/27...

Mais des passages de votre dernier mail laissent entendre qu’il serait le seul et unique problème ou que tout pourrait s’y ramener ou, plutôt, que ce que nous affrontons serait dû à une ’mauvaise philosophie’, des raisonnements biaisés, etc. Sans réfuter ce point de vue (’Idéologies contemporaines’ devrait être le titre de notre prochaine brochure [1]) facilement caricaturable en idéalisme (critique recevable concernant ce texte de nous, par exemple et qui devrait vous intéresser : Sur les racines de la disparition de la pensée critique https://collectiflieuxcommuns.fr/61...), il nous semble qu’il faille l’enrichir d’autres points de vue ; autrement dit le relativisme nous semble certes une idéologie, mais aussi (le ’aussi’ est important) et en tant que telle le symptôme d’une époque, la rationalisation d’une dynamique de l’Histoire qui plonge ses racines dans d’autres causes que ’purement’ intellectuelles : sociale, politique, historique, anthropologique, ... Ceci explique d’ailleurs les incohérences flagrantes des tenants du relativisme, la trahissant comme idéologie masquant des partis-pris peu avouables, ou dont ils ne sont que les objets.

G. Steiner, par exemple, fait remonter cet effondrement intellectuel aux dévastations des deux guerres mondiales dans ’Dans le château de Barbe-bleue’, dont nous avions mis un extrait, pour nous très éloquent, en ligne :

L’inventaire de l’irréparable
https://collectiflieuxcommuns.fr/74...

A bientôt

LC

Objet : Re : Re : Ajouts
De : D.
À : ’Lieux Communs’
Date : 12 sept. 2016

Bonjour ,

(…)

Mes propositions s’inscrivent dans ce cadre et visent à créer un outil (je ne crois pas spécialement au ’tirage au sort’ ni même tellement aux conférences de consensus ; ce qui me semble important, c’est que tous les arguments – n’étant pas en nombre infini – sur un choix fondateur puissent être explicités et débattus).

Évidemment, vous avez raison de souligner ce point, il n’y a pas que le relativisme ni les ’mauvais raisonnements’ qui causent les maux de nos sociétés.

Mais quelles sont les hypothèses en lice pour expliquer le malheur sempiternel et renouveler des humains ?

J’en vois trois :

  • les prédateurs des classes dominantes, qui s’accaparent pouvoir et richesses. Mais cela fait des siècles que l’on cherche à éradiquer les dominants, pour les résultats que l’on a vu. D’autre part, les dominants ont-ils forcément des intérêts divergents ou opposés aux intérêts des autres humains ? Ont-ils intérêt à un air irrespirable, à vivre dans des quartiers de haute sécurité, à risquer de voir leurs enfants kidnappés parce que partout règne le chaos ? En gros, les dominants ont-ils intérêt – sur le long terme – a un monde invivable ?
    En fait les classes dominantes ne durent que parce qu’il y a Servitude volontaire. Je suppose que vous aviez lu la BD de Gébé ’L’An 01’ ? ’On arrête tout et on réfléchit.’ Et du jour au lendemain le système s’effondre.
  • Donc, la deuxième explication au malheur humain, c’est que les hommes veulent le malheur, et sont intrinsèquement addicts à la souffrance, à la servitude, aux idoles. Il y aurait une sorte d’instinct de mort et de soumission irréductibles, maintenant l’humanité dans un malheur qui la fait jouir au plus profond d’elle-même, d’où son don spontané aux pires dictateurs, sa joie à se suicider pour Daech, pour Mao, pour Hitler, voire pour l’entreprise du coin...
  • la troisième explication, c’est l’ignorance, c’est l’explication de Socrate. Ignorance que je vois sur deux plans : ignorance de son propre pouvoir (on se croit impuissant, on prend l’ordre du monde pour une fatalité) et ignorance des meilleures solutions possibles (faute de délibérations suffisamment éclairantes).
    De plus, depuis les années 80 les gens ont été conditionnés à croire qu’il n’y a pas ou plus d’alternative collective crédible, que ’les utopies mènent au totalitarisme’. Pour eux, il n’y que nos sociétés de possibles.

Donc à mon avis des débats méthodiques pourraient faire apparaître que notre société n’est pas du tout le meilleur ni le seul modèle viable d’organisation collective ; et ils pourraient donner un outil de pouvoir ’aux gens’ pour rependre les choses en main (ceci demandant a être développé par ailleurs).

Je pense que ces quelques réflexions répondent en partie à votre mail, mais je vais lire en détails vos liens...

Bien a vous,

D.

Objet : Re : Re : Re : Ajouts
De : D.
À : ’Lieux Communs’
Date : 12 sept. 2016

PS. Dans mon énumération des causes possibles du malheur humain, je n’ai pas parlé de la rareté des ressources.

Mais ce problème, grâce à l’essor technologique, est moins prégnant aujourd’hui. La Terre peut nourrir et faire vivre dans une décence relative 10 milliards d’humains. Donc les problèmes me semblent lies aux décisions collectives, et non a des contraintes externes qui viendraient de l’environnement...

Objet : Re : Re : Re : Re : Ajouts
De : ’Lieux Communs’
À : D.
Date : 2 nov. 2016

Bonjour D.

Il est encore une fois difficile de vous répondre sans savoir s’il s’agit d’un mail a priori ou après lecture de nos textes, et lesquels.

Concernant la démocratie directe, les attentes de ’retours’ sont, d’expérience, toujours un peu vaines, et ceux-ci souvent décevant : comme déjà dit, le thème est propice au déferlement narcissique et chacun pense pouvoir s’imposer sans avoir rien lu... C’est le règne du malentendu.

A propos des ’causes possibles du malheur humain’, sans doute faudrait-il dissocier les plans de réflexion, c’est-à-dire le terrain sur lequel s’exerce le jugement : selon que le regard soit psychologique, historique, philosophique ou politique, l’angle différera. Nos textes en proposent plusieurs, disséminés ça et là, essentiellement à partir de l’œuvre de C. Castoriadis, qu’il s’agisse de la monade psychique, de l’effondrement occidental, de la métaphysique contemporaine ou du retour de l’hétéronomie.

Par contre votre post-scriptum me semble marqué par une illusion très tenace et qui renvoie à l’impossibilité qu’il y a à penser aussi la profondeur de la crise écologique. Le livre de H. Stoeckel, La faim du monde (Max Milo, 2012, [extraits ici : https://collectiflieuxcommuns.fr/?7...]), entre autres, que nous invitons à lire me paraît de ce point de vue-là indispensable.

Cordialement

LC



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