Ce texte fait partie de la brochure n°25 « La fin de l’immigration »
Réalités troublantes et mensonges déconcertants
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Sommaire :
- La ruée vers l’Europe (Note de lecture) — ci-dessous...
La ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le vieux Continent
Recension du livre de Stephen Smith (Grasset, 2018)
Ce livre a connu une couverture médiatique importante et bienveillante dans les mois qui ont suivi sa sortie, en février dernier : invitations télévisées, interviews radiophoniques, articles de journaux. Cité par le président français lors du débat célébrant sa première année au pouvoir, il a reçu le prix du Livre Géopolitique 2018, remis par le ministre des Affaires étrangères. Une telle bienveillance contraste avec son propos principal : l’explosion démographique de l’Afrique ne peut qu’entraîner de gigantesques et inévitables flux migratoires en Europe, de l’ordre de centaines de millions de personnes, qui débuteront dès qu’un seuil de prospérité économique permettant l’exode sera franchi.
La tolérance de ce livre par le gauchisme culturel ambiant – il n’a fait l’objet d’aucune attaque ni de contre-argumentaires [1], à la surprise de l’auteur – est donc d’autant plus intrigante qu’il rend officiels des constats et des perspectives qui, jusqu’ici, étaient sans discussion placés sous l’étiquette infamante d’« extrême droite » – du « Grand Remplacement » de Renaud Camus au « Camp des Saints » en passant par « l’invasion » des Le Pen. Stephen Smith, il est vrai, présente un pedigree hors de tout soupçon : aujourd’hui professeur d’études africaines aux États-Unis, il a d’abord été correspondant en Afrique pour Reuters, RFI, Libération, Le Monde, puis analyste pour l’ONU et l’ONG International Crisis Group. Mais d’autres chercheurs tout aussi respectables s’étaient risqués sur ces thématiques et en payent encore le prix (H. Lagrange ou M. Tribalat, par exemple). Sans doute ce paradoxe s’éclairera-t-il au fil des années.
Au fond, l’ouvrage de S. Smith n’apporte rien de nouveau : les faits qu’il décrit et qui construisent son raisonnement étaient connus de longue date pour qui s’était penché sur ces questions à partir de quelques livres (sa bibliographie est touffue), ou même de simples constatations de la réalité pour quiconque a été en contact d’une manière ou d’une autre avec les milieux immigrés ou a posé un pied au sud du Sahara, ne serait-ce que quelques jours. Mais l’ensemble présente une synthèse efficace qui forme un cadre global d’analyse et, surtout, ruine un nombre impressionnant d’a priori sur le continent africain, son développement économique et le phénomène migratoire, autant de piliers idéologiques de la bien-pensance contemporaine.
Un continent submergé par sa jeunesse
Cela s’explique facilement par le fait que S. Smith s’appuie sur le principe simple (apparemment étayé dans un livre précédent Négrologie : pourquoi l’Afrique meurt [2]) selon lequel les Africains méritent d’être considérés non plus comme des agents passifs de puissances étrangères, mais bien comme des acteurs responsables, des auteurs de leurs actes, bref des sujets politiques tout autant que les Occidentaux, et que les priver de la responsabilité de leur situation les ampute de toute capacité à agir sur leur destinée collective. Il ne s’agit certainement pas de nier l’histoire cataclysmique du continent – même si celles de la Chine maoïste, de la Russie soviétique ou de l’Allemagne hitlérienne ne le sont certainement pas moins – mais bien de se donner la possibilité de ne plus y être aliéné. Cette approche est celle, pleine et entière, portée par tous les acteurs de l’émancipation individuelle et collective ; leurs ennemis sont les mêmes.
C’est d’ailleurs dans ce passé, sans surprise, que l’on trouve les origines de l’explosion démographique africaine : l’esclavagisme arabo-musulman puis occidental d’abord (28 millions d’êtres humains en tout, systématiquement éliminés au Maghreb et au Moyen-Orient pour les premiers, déportés outre-Atlantique pour les seconds) ; un « choc bactérien », ensuite, comparable à celui qu’ont connu les Amériques, a entraîné un sous-peuplement endémique contrastant avec le décollage démographique du reste du monde au début du XXe siècle (p. 24-42). Et ce sont évidemment les politiques coloniales de « développement » et de « santé globale » mises en place après la première guerre mondiale qui sont à l’origine de la croissance démultipliée des populations africaines. C’est ce versant du colonialisme occidental, bien plus que tout autre, qui est à l’origine de la situation actuelle, sans pourtant être jamais dénoncé dans les diatribes tiers-mondistes…
La tendance à la surpopulation était-elle contrôlable lors des indépendances ? Les gouvernements des jeunes nations subsahariennes n’ont en tout cas même pas essayé depuis trois générations, quand ils ne l’ont pas ouvertement encouragée (p. 66 sqq), pas plus qu’ils n’ont cessé de piller et d’orchestrer les prédations à court terme de leurs propres pays, transformant un hyper-dynamisme démographique – qui manque tant à l’Occident pour poursuivre sa croissance – en explosion immaîtrisable : les effectifs des populations d’Afrique noire ont quadruplé entre 1960 et 2015, passant de 230 millions à un milliard, et ils seront multipliés par 16 entre 1930 et 2050, atteignant alors 2,5 milliards d’individus, un quart de l’humanité (p. 16). À cette date, le quart des Européens sera d’origine africaine (p. 17) et en 2100 la moitié des humains de la planète le sera [3]. Le continent n’ayant mené aucune révolution agricole ni développement industriel (p. 73 sqq), il s’engouffre dans la société de consommation autant qu’il est possible sans jamais s’approprier de quelque façon ses conditions de réalisation économiques, scientifiques, politiques, sociales ou culturelles (p. 115 sqq). Il est clair pour l’auteur que, si ce qui est visé est un niveau de vie à l’occidentale (mais en conservant un mode de vie du tiers-monde), « de quelque façon que l’on s’y prenne, il n’y en aura jamais assez pour tout le monde » (p. 47).
L’exil hors du continent africain, soit une émigration continue, croissante, massive, s’impose, dans l’état actuel des choses, sans discussion. La question est : de quoi serait-ce la solution ?
Émigration, immigration : la perspective MAD
Pour Stephen Smith, le départ des Africains hors de leurs terres natales, vers la ville d’abord, le pays voisin ensuite, enfin l’Europe, non seulement n’améliore en rien les frustrations africaines, mais les aggrave considérablement – et d’abord en accréditant la conviction omniprésente que la « vraie vie » est ailleurs (p. 23). Les processus sont plus ou moins bien connus : « fuite des cerveaux » ; exil d’une classe moyenne constitutive d’une « société civile » au rôle crucial (p. 216) ; contre-exemplarité et désespérance pour ceux qui restent de gré ou de force ; financement en retour des réseaux locaux familiaux, ethniques, religieux (p. 213 sqq) et surtout gérontocratiques (p. 257) que fuient précisément les expatriés (p. 213) ; constitution d’une « rente » ou d’un « racket migratoire » entretenant les États africains dans un cercle vicieux allant de la dépendance à la prédation (p. 117 sqq ; p. 192 sqq), exacerbant les inégalités sociales (p. 140) tout autant que les multiples tensions qui fracturent le continent (p. 129 sqq) – elles-mêmes décuplées par les migrations intra-africaines (p. 162 sqq). L’émigration africaine est une fuite en avant qui s’auto-engendre au nom de cette évidence première : le « développement », quoi qu’on entende par là, ne se fait pas par contumace.
De manière identique, l’immigration – bien que l’auteur s’en défende dans ses interviews [4]. Non seulement l’apport de ces « bras », de ces « cerveaux » (p. 28) ou de cette « chair à retraites » (p. 179) ne résout ni ne résoudra aucun des problèmes économiques du Vieux Continent (p. 207 sqq), mais les migrants sont avant tout des êtres humains qui emmènent avec eux leur culture, pris dans le mythe d’un multiculturalisme « à l’américaine » : millénarisme musulman pour les uns, pentecôtiste pour les autres (p. 168 sqq), xénophobie (p. 189), homophobie (p. 215), opportunisme (p. 166) et culture de la clandestinité, sentiment anti-français (p. 135) et ressentiment postcolonial (p. 219), anomie généralisée (p. 170). Les diasporas africaines gagneraient même à se constituer en « enclaves étrangères » sur le territoire afin de servir de « tête de pont » ou même, à terme, à s’ériger d’elles-mêmes comme « officiers des affaires indigènes » [5] (p. 218 sqq).… Tout cela annonce évidemment une stratification ethno-raciale des sociétés d’accueil et la disparition à terme de tout État-providence ou possibilité démocratique ; tel est le scénario de « L’Eurafrique », celui que nous vend l’opinion médiatique (p. 226 sqq). L’auteur ne se risque pas à une telle formulation, mais il annonce bien entendu la tiers-mondisation de l’Occident dont il est question, c’est-à-dire sa fin en tant que réalisation partielle d’un idéal d’égalité et de liberté laborieusement élaboré au fil des siècles.
La « ruée vers l’Europe » qu’annonce Stephen Smith se présente comme l’équivalent de la stratégie MAD (Mutual Assured Destruction) qui a régenté l’équilibre de la terreur lors de la guerre froide : la plus grande explosion démographique que l’humanité ait jamais connue déboucherait sur la destruction réciproque de l’Afrique comme terre habitable et de l’Europe comme horizon politique potentiellement universel. Un processus similaire se déroule en Amérique du Nord, qui aimante toutes les populations du sous-continent. L’ultime scénario dessiné par l’auteur, le « retour au protectorat » (p. 233 sqq), en est une forme dont il ne semble pas soupçonner la force historique : la mise en place d’un quasi-empire Euro-Africain, avec son centre pacifié et son limes menaçant [6]. L’attrition énergétique serait un formidable catalyseur de la fin de la modernité, deux processus indiscutables que l’auteur ne mentionne pas, et d’un retour de formes politiques et sociales millénaires d’une brutalité naïvement oubliée.
L’échec de la bonne conscience occidentale
Au-delà de ces considérations, l’intérêt du travail de S. Smith est de ruiner les discours convenus et ethnocentriques sur les responsabilités de l’Occident dans cette situation. Ou plutôt : il fait de cette mauvaise conscience elle-même le moteur de cette aggravation.
Car c’est bien le discours misérabiliste tenu par l’Occident qui contribue à désespérer d’eux-mêmes les Africains, tout comme son symétrique artificiel, la rhétorique irréelle sur le « miracle africain », qui se refuse à seulement formuler les impasses cataclysmiques du continent [7]. Le discours pro-immigration tout autant que l’« aide au développement » les financent, les nourrissent, les approfondissent, les accélèrent, les amplifient. La « politique de la pitié » (p. 171) n’est pas une politique ; c’est un « narcissisme moral » (p. 227) et doloriste qui sacrifie la lucidité, la responsabilité et le courage sur l’autel des bons sentiments.
On retrouve là la notion si éclairante, ignorée de S. Smith, de « culpabilité narcissique » que Daniel Sibony a avancé de son côté [8] pour expliquer la complaisance occidentale vis-à-vis de l’offensive musulmane : prendre sur soi la faute des autres offre un ascendant pervers qui s’auto-entretien en cantonnant l’altérité dans un infantilisme souriant. Cette posture a bien entendu son complément logique, opérant de moins en moins silencieusement dans tout le monde non-occidental : le complotisme victimaire qui s’incarne dans ce phénomène singulier d’auto-déportation (p. 24 ; p.146) dans les terres étrangères, rivales, adverses, voire ennemies, largement porteur d’une violence d’autant plus incontrôlable qu’elle est sans cesse déniée et informulée.
Cette configuration – que l’on pourrait qualifier de sociopsychanalytique – est bien entendu malsaine au plus haut point, sinon potentiellement dévastatrice. Elle hérite de ce que S. Smith a appelé la « rencontre coloniale » et annonce une « rencontre migratoire » sous des auspices bien plus sombres, puisqu’elle n’est sous-tendue par strictement aucun projet politique positif.
La ruée vers l’Europe s’achève sur des ébauches de scénarios crédibles, peu reluisants. Mais malgré son titre et sa comparaison fugace avec le surplus migratoire européen du XIXe s’exportant vers les Amériques, l’Australie et l’Afrique (p. 189), l’auteur semble s’être interdit la possibilité du pire : la haine anti-Blancs qui anime des dizaines de millions de personnes de l’Afrique du Sud à Beaumont-sur-Oise, du Zimbabwe aux ghettos américains, exprime un sentiment de revanche historique hallucinée, de plus en plus exprimé comme tel, qui pourrait bien rappeler aux Occidentaux qu’ils n’ont jamais eu le monopole des massacres de masse.
Lieux Communs 2 – 3 juillet 2018
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