Le texte de Miguel Benasayag, cité ci-dessous, est le “canevas” d’une chronique enregistrée pour France-Culture le 19 mars. Contrairement à ce que la rumeur laisse entendre, ce n’est pas elle qui aurait motivé son éviction de cette radio institutionnelle, mais divers accrochages au fil des mois entre l’auteur et l’organisatrice des programmes. Mais peu importe, au fond, les raisons de cette fâcherie entre une représentante symbolique de la gauche caviar (et mitterrandolâtre comme Laure Adler) et un Benasayag qui se veut emblématique de la gauche “alter- mondialiste”.
Ce “canevas” fournit l’occasion de plusieurs remarques, non pas tant parce qu’il prolongerait le débat sur le voile (où il est particulièrement pauvre), mais parce qu’il l’amalgame de manière volontaire aux réactions contre les lois “sécuritaires” de Sarkozy. Il s’agit dans les deux cas d’un type d’erreur de raisonnement analogue, appuyé sur une dénonciation rageuse qui a sans doute pour fonction de détourner l’attention de cette faiblesse. La manière de mêler le vrai et le faux, d’insérer des considérations de détail exactes dans un cadre manifestement forcé, évoque le style, que l’on aurait pu croire lointain, typique des pro-chinois de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix. C’est un peu ce qui était au principe de l’accusation d’hystérie contre la grande majorité de la population française chez E. Terray (mais celui-ci a l’air d’un aigle de la pensée par comparaison). On retrouve également cette manière dans une page de diatribe rédigée par Alain Badiou dans Le Monde du 22 février 2004, “Derrière la loi foulardière, la peur” [1]. Il est à noter que Benasayag, et sans doute beaucoup de ceux qui dénoncent la loi sur le voile, confondent ou affectent de confondre juridiction pénale et juridiction administrative (particularité française qui n’a guère d’équivalent à l’étranger). La loi sur le port des signes religieux relève de la juridiction administrative (coiffée par le Conseil d’État comme instance ultime).
Parmi les intellectuels cités ci-dessus, deux au moins présentent des titres universitaires fort prisés dans le petit univers français. Benasayag compense peut-être son manque de statut par sa prétention à être “philosophe et psychanalyste” et son passé de guérillero guévariste en Argentine, c’est-à-dire une référence où le stalinisme se paraît du costume romantique de l’aventure latino-américaine. Dans tous les cas, ces individus n’ont l’excuse ni d’un défaut d’information ni d’une incapacité à comprendre leur sujet. Leurs réactions s’appuient sur un type d’affect qui vise à manipuler un public : l’important n’est pas de lui dire la vérité, mais de lui communiquer une réaction émotionnelle qui lui ferait tourner la tête dans la supposée “bonne direction”. On ne lui dit pas ce que l’on croit conforme à la réalité, on publie ce que le bon peuple doit entendre. Cette posture est profondément répandue chez les militants de toute sorte, à des degrés divers. Même si en petit comité, il leur arrive fréquemment d’admettre que telle chose embarrassante peut être vraie, ils finissent toujours par insister sur un point : “il ne faut pas le dire” au grand public.
L’irréalité militante de Benasayag s’expose le plus clairement à son point d’aboutissement : s’il y a de la délinquance, ce sera la faute aux lois sécuritaires, de même que s’il y a des foulards islamiques, ce sera le produit de la loi passée récemment. L’objet exact de ces textes de loi serait non pas de résoudre un problème mais de l’entretenir. Bref, non seulement il y a complot, mais il est pervers. Pour quelqu’un se présentant comme psychanalyste, ce type de posture est tout de même lourd de sens.
Contre toute vraisemblance, et contre les faits, il considère que les chiffres des délinquances contre les personnes
seront gonflés pour entretenir la peur (tout ne serait que
manipulation à but électoral de court ou moyen terme). Il
devrait lire le Canard Enchaîné qui, avec son humour décapant, possède quelques réflexes rafraîchissants sur le
sujet : on a pu constater au fil des décennies que les statistiques courantes sur la délinquance sont inversement
proportionnelles à la popularité des ministres de l’intérieur auprès de la base policière. Ni plus, ni moins.
Benasayag s’étonne que la délinquance de rue soit censée
avoir diminuée à Paris de 21 %, mais il montre seulement
sa légèreté : les effectifs policiers sont, de fait, de plus en
plus concentrés sur cette ville, au détriment des banlieues
proches, pour présenter une vitrine satisfaisante. Le discours sécuritaire est d’abord une fiction sur les résultats et
les remèdes. Il est exact que le nombre de détenus augmente (on parle de 61 000 personnes aujourd’hui), mais il
vaudrait mieux donner les chiffres non pas en “stock”
mais en “flux” (il y a quinze ou vingt ans, on pouvait
constater par extrapolation que plus de 100 000 personnes
passaient par les prisons chaque année, la plupart pour de
courtes peines). Cela donne une image plus parlante.
Pour les États-Unis, le stock est considérable, bien que
peu d’auteurs nous donnent des chiffres clairs (voir L.
Wacquant, Les prisons de la misère, ouvrage datant de 1999)
et le flux serait encore plus éloquent. Si la répression était
au même stade en France que dans ce pays, il y aurait en
tout cas 400 000 personnes en même temps dans les établissements pénitentiaires français (au lieu des 61 000).
Benasayag oublie de préciser que, si le régime judiciaire et
carcéral “américain” est féroce, c’est en bonne partie parce
qu’il repose sur des réflexes juridictionnels beaucoup plus
“démocratiques” que dans “notre” pays.
L’argument de l’emprisonnement comme source de récidive mériterait aussi un traitement plus rigoureux : selon
le type de délit, etc. L’impunité de fait, par manque de
places dans les prisons, est-il un mythe ? A moins d’être
introduit dans le milieu judiciaire, comment se faire une
idée de la réalité ? Les discours opposés se croisent sans
jamais se rencontrer.
La référence au livre de Loïc Wacquant, qui dénonçait en 1999 une “panique morale” venue des États-Unis, est conforme à l’ambiance générale du texte de Benasayag, bien que ce livre soit nettement plus fouillé et qu’il fournisse des éléments d’information consistants. Son argument central consiste à dénoncer une “criminalisation de la misère”, qui est avérée dans certaines parties des États- Unis (car ce pays fédéral grand comme deux fois l’Europe connaît des différences de traitement considérables d’un Etat à un autre). Par d’autres sources, on sait que la prison pour dettes semble bien avoir été rétablie (en Arizona, un an de loyer impayé vaut incarcération). L’archipel pénitentiaire américain atteint une telle ampleur qu’il est légitime de se demander si on n’assiste pas là-bas à la naissance d’un complexe très particulier. L’image d’un goulag utilisant une main-d’œuvre captive est tentante, bien que L. Wacquant rappelle l’ampleur des obstacles institutionnels s’opposant à l’utilisation massive de cette maind’œuvre à disposition. Mais un tel “goulag libéral” (si cette expression a un sens) ne s’établit pas à l’insu de l’ensemble de la population, ni contre sa “volonté”. C’est tout le problème. Il répondrait plutôt à une demande sociale particulièrement forte, jusque dans la population pauvre. Comment expliquer sinon le comportement et le relatif succès d’un groupe comme la “Nation de l’islam” dans la population noire ? Un de ses grands arguments est de chasser les dealers et les gangs des quartiers qu’il conquiert. Les tenants du politiquement correct oublient systématiquement que la plupart des victimes de délinquance sont des pauvres. Benasayag, dans son billet hâtif, met involontairement en lumière les faiblesses du livre de L. Wacquant.
Benasayag émet surtout un verdict manipulateur et faux :
l’américanisation de la justice ne serait pas une tendance,
encore balbutiante, il faudrait la considérer comme déjà
advenue. Les résistances visiblement nombreuses dans
tous les pays européens seraient négligeables. Ou bien le
fait de les reconnaître démobiliserait-il ceux qu’il veut
prêcher ?
On a dénoncé en France, en 2002, le traitement médiatique de l’insécurité, qui aurait fait le lit du désastre électoral de Jospin. C’est encore oublier que le PS avait participé au chœur presque général. N’y voir qu’une erreur de
tactique est un peu léger : la pression sociale diffuse,
comme pour le foulard islamique, était là et ne permettait
pas d’atermoiement indéfini sous peine de sanction politique aggravée. La posture politiquement correcte définit
un discours qu’il convient d’observer en contre-champ. Il
consiste à dire à “l’homme de la rue” : vous avez supporté une croissance continue de la délinquance depuis trente ans au moins (cette tendance sur le long terme est beaucoup moins sujette à manipulation que les comparaisons
d’une année sur l’autre). Tant que cette croissance se
maintient sans s’accélérer démesurément, vous n’avez
rien à dire. Vouloir réagir contre cela mènerait à faire le lit
de la droite et du Front national. C’est le même discours
que celui des technocrates : “il n’y a pas de risque zéro”
(sous-entendu : vous avez déjà tant accepté, qu’un risque
de plus ne vous fera rien, il serait en tout cas illégitime d’y
trouver à redire). Ces partisans du “politiquement correct” n’imaginent pas un seul instant que même si la
“délinquance” était statistiquement “stable”, il pourrait
arriver un moment où la population qui la subit perd
patience et estime qu’elle n’est plus supportable à ce
niveau-là... Ces politiciens du correct semblent toujours se
placer, consciemment ou non, du point de vue du prédateur, qui ne serait qu’une victime de la société et n’aurait
aucune part de libre arbitre. Les victimes de celui-ci
n’existent pas pour le politicien correct, lacune qui ouvre
évidemment un boulevard idéologique aux partisans de
“l’état pénal” (selon la formulation de L. Wacquant).
Benasayag poursuit son oraison en affirmant que la
simple contestation de l’ordre sera pénalisée. A l’entendre, nous serions en janvier 1933 (il ne le dit pas, mais
son discours y fait penser). En tout cas, “le-fascisme”
serait à nos portes, une fois de plus. Les infractions créées
par la loi de sécurité intérieure de 2003 se déduiraient
d’un comportement (racoler, mendier, bavarder en groupe devant un immeuble) et non plus d’une atteinte à des
individus particuliers. C’est oublier que le type de cas
signalé correspond à des plaintes précises que le code
pénal ne parvenait pas à qualifier comme délits répréhensibles. L’application sur l’occupation des halls d’immeuble semble problématique, mais pour la raison inverse de celle invoquée par Benasayag : les gens subissant
l’intimidation n’osent pas aller jusqu’au bout de leur
plainte, par peur des représailles. Il s’agit donc bien de
nuisances concernant des individus particuliers.
L’inversion polémique de la réalité menée par Benassayag se sert d’éléments exacts : la droite réalise certains aspects des propositions du Front national, pompeusement qualifiées de “programme”, mais il oublie de rappeler que les partis de gauche faisaient exactement la même chose à l’époque où L. Wacquant écrivait son livre, en 1999, et que celui-ci en parle expressément. Notons tout de même que signaler la demande d’augmentations de salaires pour les policiers comme un élément significatif de cette copie de programmes laisse planer quelque doute sur le sérieux de l’auteur : à trop vouloir prouver... Benasayag considère que “l’état social” n’est pas seulement attaqué, il est en cours de démantèlement (cela pourrait passer pour la diatribe d’un militant cégétiste qui ne fait pas dans le détail, mais cette rengaine dure depuis trente ans ; à force de crier “au loup”, on n’est plus cru quand il est là). En voyant “l’état social” comme le produit d’une volonté du Conseil national de la Résistance de 1945, Benasayag trahit son peu de recul vis-à-vis du mythe résistancialiste (résidu probable de son engagement passé dans une logique de guérilla). Ce glissement permet de constater qu’il n’a sans doute pas rompu avec les errements mythiques anciens. Il annonce que Sarkozy tentera de rétablir la peine de mort (ce qui est invraisemblable dans le contexte de l’Union européenne, pour laquelle ce rejet constitue une condition d’adhésion, voir l’état de la discussion avec la Turquie), de supprimer l’école de la Magistrature et d’interdire le syndicalisme dans la magistrature : ces « réformes » virtuelles constituent l’élément qui devrait emporter la conviction de l’auditeur de France-Culture. L’immédiateté de l’action de la Justice paraît à Benasayag recéler tous les dangers. Or, la lenteur de cette Justice est un des grands reproches qui lui est fait dans la société.
On verrait donc naître un “traitement pénal de masse” de
la délinquance, comme si elle n’avait pas été déjà “gérée”
de façon massive jusque-là, mais à une échelle qui
demeure à ce jour qualitativement moindre que la pratique judiciaire aux Etats-Unis. Le nouveau traitement,
encore virtuel, concernerait tous ceux pour lesquels il n’y
a plus de perspective “d’ascenseur social”. Cette thématique démagogique est volontiers utilisée à gauche, bien
que l’on puisse tout de même se demander ce qui restera
“en bas” si tout le monde “monte” ! Cet “ascenseur
social” n’a pu fonctionner de 1950 à 1975 que dans le
cadre d’une extension importante du nombre d’emplois
avec importation d’une main-d’œuvre immigrée nombreuse pour les postes les moins qualifiés. C’est dire
qu’une telle ascension générale, en l’absence d’abolition
des inégalités sociales, n’a pu, au mieux, qu’appartenir à
une période très particulière, datée et limitée. La référence à “l’ascenseur social” est un tour de prestidigitation qui
permet à l’oligarchie de gauche d’introduire “l’élitisme
républicain”. Toutes ces approximations rattachent
Benasayag à l’univers mental du versant gauche de l’oligarchie, auquel il semble avoir finalement fort peu à
reprocher.
L’objet des lois diverses votées depuis 2002 viserait, selon
Benassayag , à séparer les populations utiles (électeurs,
salariés), des populations inutiles (chômeurs, délin-
quants, immigrés). Il paraît étonnant, mis à part ceux que
la rhétorique du Front national convainc (et encore,
puisque les chômeurs sont nombreux dans sa clientèle)
que les chômeurs (état tout de même transitoire pour
beaucoup) et les immigrés soient considérés comme des
populations “inutiles”. Benassayag, tout à sa démonstration, a voulu élargir le champ des groupes concernés pour
faire masse. Mais l’amalgame permet rarement des raisonnements solides.
Il est exact que la peur et l’individualisation sont dissuasifs de mobilisations sociales, mais ces réflexes moléculaires sont moins le produit d’opérations politiques ou médiatiques (dont le temps d’action est le très court terme) que le résultat d’une situation d’ensemble qui s’est établie au fil des décennies (à l’autre bout de l’échelle sociale, on rencontre la structuration de l’oligarchie en bande dominante). La partie déshéritée de la population subit les effets terribles d’un désagrégation sociale qui menace de se communiquer aux couches qu’elle côtoie directement (et qui s’y communique lentement de mille manières). Contrairement à ce que veulent croire les tenants du politiquement correct, cette désagrégation ne se traduit pas principalement par une “délinquance”, dont il faudrait ménager les porteurs. Ceux-ci peuvent tout autant être considérés comme des agents aggravants de la désagrégation parmi lesquels on puise éventuellement des recrues pour la “sécurité”, ce que Benassayag oublie tranquillement. L’oligarchie et les bas-fonds se rencontrent et s’associent de plus en plus volontiers dans la pénombre de l’époque.
Benasayag, dans son mauvais “billet d’humeur” à la
Philippe Val (celui-ci compense néanmoins ses ambitions
idéologiques moindres par une verve polémiste mieux
ajustée), amalgame encore tous les “employés de sécurité” en une armée de l’ordre répressif pour mieux faire
passer sa thèse centrale : la relégation d’une partie de la
population dans une infra-société (“le peuple de l’abîme”
écrivait plus justement Jack London) serait le produit
d’une opération volontaire pilotée par les auteurs d’un
complot social. La complexité des mécanismes sociaux à
l’œuvre est ainsi escamotée.
Bref, d’un bout à l’autre, il s’agit d’un discours militant
destiné à un public prêt à se transformer en militants.
Entre gens du même monde, ils devraient se plaire. Le
défaut, c’est qu’un tel discours ne peut convaincre que les
convaincus.
Badiou, Terray, Benassayag, et la kyrielle des idéologues
en déshérence de stalinisme, composent un type particulier d’intellectuels qui n’ont pas compris que le “politiquement correct” était assez largement disqualifié, jusque
chez les ténors officiels de cette pose. Ils tendent à surenchérir en paroles, en recourant à des artifices transposés
du radicalisme militant le plus obtus. Ce qui s’esquisse là
ne pourra jamais devenir qu’un politique extrêmement correct. Mais ses partisans manifestent une ténacité dans la
confusion qui devrait durer. C’est au fond leur rôle de
“tribuns virtuels” qui est en jeu, c’est-à-dire leur mode
d’insertion et d’intégration à la société existante.
Plus généralement, il est remarquable que les partisans
d’une émancipation générale et de l’abolition de l’inégalité sociale soient incapables de tenir un discours sensé sur
cette question de la délinquance. C’est d’abord le reflet de
l’absence de tout mouvement social profond visant à abolir les conditions existantes. Le reflux qui dure depuis
trente ans, qui s’est transformé en régression puis en
débâcle sociale, ne permet pas d’échappatoire facile.
Il n’a pas de précédent historique dans l’époque inaugurée il y a plus de deux siècles par la révolution de 1789.
Seule une analyse prioritaire de la nature qualitativement
nouvelle de ce reflux immense, qui a franchi un seuil de
rupture de la continuité historique, peut permettre de
préserver la perspective de l’émancipation sociale.
Vouloir faire l’économie d’une telle analyse ne mène qu’à
des réactions activistes dépourvues de base solide et
génératrice de confusions catastrophiques. Prétendre
offrir des solutions simples et de bon goût sur un sujet
comme celui de la délinquance et de la sécurité des personnes, mène à des erreurs de jugement désastreuses. On
n’a en fait le choix qu’entre des issues étrangères à nos
aspirations (répression plus ou moins aveugle ou laxisme
laissant des millions de victimes invisibles à la merci de
prédateurs sans états d’âme). Les poses tribuniciennes ont
leurs exigences, mais leur logique ne sied qu’aux vocations de manipulateurs. Il est d’autant plus significatif
que Benasayag soit amené à recourir à ce genre de procédés dans son billet de France-Culture, que cet idéologue
n’est pas tout à fait aveugle sur l’ampleur inouïe des
questions qui se posent depuis plusieurs décennies (puis-
qu’il a prétendu essayer d’en tenir compte dans divers
ouvrages).
L’effort d’analyse fondé sur la prise en compte de ce
reflux inédit, qualitativement nouveau, est précisément
au fondement de la démarche du Crépuscule du XXe siècle.
Le paralogisme expliquant qu’il ne faudrait pas “démoraliser Billancourt” n’a produit que des mensonges à terme
plus démoralisateurs que toute description honnête des
situations.
Tant que l’on considère le “capitalisme” plus comme un “système” que comme un chaos, il faut lui attribuer des intentions, ou lui trouver des marionettistes. En revanche, dès lors que l’on ne fait pas cet honneur au monde existant de le considérer comme un “système”, l’assurance fictive de son renversement et de l’organisation automatique du nouveau monde disparaît peut-être, on gagne néanmoins en lucidité sur le présent et les possibilités historiques.
La forme marché est à bien des égards un chaos, entretenu ou non, où diverses populations peuvent tenter d’improviser une “régulation” plus ou moins barbare. La désagrégation de la partie inférieure de la société n’est pas en discontinuité avec ce chaos institutionnalisé, c’est ce qui rend la situation si difficile à saisir, si peu engageante. Ce sont les modalités du chaos qui varient et c’est là-dessus qu’il faut porter le regard.
Paris, le 2 avril 2004
PS : Dans Le Monde du 31 mars 2004, Benasayag conclut son différend avec la rédaction de France-Culture par la déclaration suivante : « Malgré la vacherie, je serai toujours reconnaissant à Laure Adler et à Nicolas Demorand de m’avoir donné cette expérience. J’oublie la vacherie et je garde la richesse de l’expérience ; mais, pour le moment, je suis fâché ». Ce sont des phrases qui dénotent bien l’appartenance à un même monde de connivence pour le moins espérée.
Un stalinoïde altermondialiste à France-culture : Michel Benasayag
Voici le texte devant servir de canevas à la chronique du 20 mars 2004, diffusé par internet. Il était présenté comme ayant causé le licenciement du chroniqueur...
A quoi servent les lois sécuritaires ? Les textes sécuritaires votés depuis deux ans à l’initiative du gouvernement n’ont paradoxalement pas pour objet de réduire la délinquance, pas plus que la loi contre les discriminations n’aura pour effet de réduire le nombre de foulards islamiques dans les écoles. Ces lois stigmatisent au contraire des populations cibles, en les excluant socialement, comme si l’objectif était de les dresser contre la République. On aura ainsi obtenu la démonstration recherchée, selon laquelle il est décidément impossible d’intégrer dans la société française les femmes musulmanes et les jeunes des banlieues, appartenant d’ailleurs aux mêmes réserves de ces nouveaux indiens, les « arabo-musulmans ». Tout ce passe comme si, au contraire, ces lois d’exclusion devaient maintenir la pression de la peur sur les électeurs, entretenir leur effroi pour les refuznik de la République, en attendant les barbares des banlieues au journal télévisé du soir. Le but des lois sécuritaires est d’utiliser politiquement la délinquance de rue comme trompe-l’oeil idéologique, de masquer le démantèlement de l’état social, tel qu’il résultait du programme de 1945 du Conseil National de la Résistance. Mais l’actuel gouvernement risque d’être lui-même victime de ce jeu de leurre de l’opinion publique ; car il est en train de réaliser en partie le pro- gramme du Front National (187 pages, 300 propositions), sans pour autant être certain de capter l’électorat d’extrême droite. Séduire l’électorat d’extrême droite Il apparaît que sur les 24 propositions du F.N. ,en matière de « justice et police », 11 d’entre elles ont déjà été réalisées par D. Perben et N Sarkozy :
|
Commentaires