Écologie, technique et politique

Série d’été d’août 2025 du podcast Hérétiques
mardi 5 août 2025
par  LieuxCommuns

Pour l’été, le podcast « Hérétiques » s’offre un répit et propose, sans prétendre à l’originalité et pour la deuxième année, des « séries d’été ». C’est l’occasion de nous retourner sur la trentaine d’émissions enregistrées en trois ans. Leur enchaînement, mois après mois, peut paraître hétéroclite, foisonnant, insaisissable, désordonné.
Voici donc quelques tentatives de nouer ces fils épars autour de certaines thématiques, de tirer de cette profusion quelques lignes directrices. Il ne s’agit pas d’imposer une cohérence factice ni de révéler un ordre caché mais de proposer une interprétation, la nôtre, à des auditeurs et des invités qui ont également les leurs, et peut-être meilleures, de notre propre travail. Nos modestes moyens ne nous permettent pas de faire plus qu’une présentation de quelques minutes, renvoyant chaque fois aux différentes émissions en question, qui y prennent alors un sens particulier sans, évidemment, s’y réduire. On retrouvera bien entendu tous les podcasts mentionnés sur les plateformes d’écoute, mais aussi sur notre site (heretiques.fr) où une page est consacrée au thème développé ici, thème renvoyant à celles des émissions en question.


Série publié sur le site Hérétiques.fr le 1er août 2025


Pour ce mois d’août, nous proposons le triple thème de l’écologie, de la technique et de la politique, largement entrelacés.

L’écologie est avant tout une science, née au XIXe siècle, qui étudie les interactions des systèmes biologiques au sein d’un milieu. C’est une branche de la biologie avec laboratoires, crédits et chercheurs, au carrefour de la physique-chimie et de la géographie. Mais l’écologie est aussi une idéologie, qui a émergé dans la seconde moitié du XXe siècle, considérant les milieux naturels comme des milieux vierges et sains que l’Homme ne peut que perturber ou détruire, au risque de catastrophes voire d’Apocalypse. Enfin, l’écologie est également une politique, apparue plus tardivement, mêlant conservation des écosystèmes, appels à la révolution, contrôle des populations et néo-colonialisme, culpabilisation et disparition de la paysannerie, gestion bureaucratique ou militante.
Ces trois aspects s’entrecroisent dans une grande confusion, que tente de démêler Christian Lévêque, écologue dans notre émission « L’écologie : science, politique ou idéologie ? » de décembre, dénonçant une science dévoyée mise au service d’une idéologie délirante sacralisant la « Nature » au profit d’intérêts politiques et économiques et qui nous éloigne des réelles problématiques écologiques.

D’où provient le discours stéréotypé des idéologues écologistes pour lesquels il faudrait préserver une nature, fondamentalement bonne et harmonieuse, de toute influence humaine, fondamentalement mauvaise et destructrice ? Il n’est pas difficile de déceler, derrière l’absurdité de cette position qui ne répond en rien à la crise écologique, la résurgence mythique du judéo-christianisme et de son fameux jardin d’Éden. Il existe même, depuis une soixantaine d’années, un courant religieux dont c’est la propagande explicite et qui a pénétré toutes les institutions internationales environnementales. Ces croyants et théologiens anglo-saxons font de l’Homme l’intendant de Dieu sur Terre devant se soumettre à la Création Divine. La nature est alors sacralisée et la biodiversité investie d’une valeur intrinsèque qui doit transcender tous les intérêts humains.
Arnaud Blaret, humaniste, libre-penseur athée et autodidacte, nous raconte sa longue enquête sur cette nébuleuse théologique inconnue et à l’influence considérable dans notre entretien de l’automne 2024 et appelle à une renaissance de la raison, une libre-pensée environnementale et une reprise en main démocratique des enjeux écologiques.

Pourtant, croire la nature éternelle et éternellement bienveillante semble une manière contournée mais efficace de lui retirer sa part de sauvage, d’inconnu, d’incertain, d’immaîtrisable – bref de naturel. Derrière ce mythe de l’amour universel de la nature, pour la nature, que chacun d’entre nous prétend ressentir, se cache une réalité moins honorable : une haine indicible pour cet univers incontrôlable, mouvant et contradictoire, chaotique même qui échappe obstinément à notre volonté. Du fond de l’inconscient comme du cœur des sociétés historiques sourd une profonde ambivalence que l’on peine à masquer derrière les meilleurs sentiments du monde. C’est ce que tente de décrypter Christian Godin dans notre émission de janvier dernier « La haine de la nature », explorant la face sombre de nos sentiments face aux éléments naturels.

Le contrôle de la nature, depuis le début de l’hominisation, passe évidemment par le truchement de la technique : organisation sociale, langage, outils, etc. Mais c’est la technique matérielle, l’instrumentalité, qui est à l’origine de cette idéologie technicienne qui a émergé dans la modernité. Investi de toutes les qualités et source de tous les bienfaits, le progrès technique en est devenu indiscutable. Pourtant, très tôt est apparu le fait que la technique n’est pas que rationalité et maîtrise mais qu’elle peut devenir incontrôlable et transbahute désirs et rêves, fantasmes et délires, folies et démesure. Les techniques contemporaines, envahissantes, prétendent régler les problèmes qu’elles ont elles-mêmes provoqués, nous entraînant dans un emballement apparemment sans limite et dont la face obscure et croissante est déniée, accusant d’arriération et d’obscurantisme toute interrogation ou hésitation.
Ce sont ces réflexions techno-critiques auxquelles nous convie Daniel Cérézuelle dans notre émission de mars 2023 « Les enjeux des technocritiques », à la frontière de l’histoire, de la sociologie et de l’écologie.

Ultime étape du développement technicien, les « intelligences artificielles » font clairement apparaître le fantasme d’une recréation de la vie par l’être humain, d’une nature enfin à sa mesure, c’est-à-dire servile, obéissante et à son service. Las ! Comme déjà amplement vu par la science-fiction, il s’agit bien moins d’une révolution que d’un approfondissement des traits les plus régressifs de nos sociétés, mêlant surveillance de masse et foule solitaire, fuite de la condition humaine, conformisme mental et destruction de la pensée et du langage. Cette nouvelle étape dans l’industrialisation de la bêtise ne fait qu’amplifier les monumentales ambivalences vis-à-vis de la nature mais aussi vis-à-vis de nous-mêmes, de nos volontés et de nos projets. Loin des simplifications écologistes qui reprennent implicitement les thèses heideggeriennes contre lesquelles se bat François Rastier, nous discutons avec ce dernier, dans l’émission de février dernier « L’intelligence artificielle et son monde », des enjeux de ce nouvel objet techno-fantasmatique qui fait maintenant partie de notre quotidien.

Telles sont, parmi d’autres, les immenses questions que soulève l’écologie politique, réveillant, réactualisant et reformulant les grandes interrogations politiques et philosophiques présentes dès l’Antiquité. Mais cette écologie politique est aujourd’hui réduite à une idéologie plate, l’écologisme, entretenue ad nauseam par les cercles bruyants des petits milieux intellectualo-militants carriéristes et routiniers. Il serait grand temps que les mythes fondateurs « écologistes » soient sérieusement questionnés : existe-t-il vraiment une cause unique aux dévastations environnementales ? L’être humain a-t-il réellement une place déterminée dans la nature ? Faut-il véritablement dépasser le clivage Homme / Nature ? Pourquoi l’écologie politique actuelle est-elle de gauche, et depuis quand ? Faut-il se débarrasser de la science ou au contraire s’en remettre à elle ? L’écologie est-elle nécessairement progressiste ou intrinsèquement conservatrice ? Est-il possible que naisse une écologie autoritaire ? Et, finalement : l’écologie politique aujourd’hui n’est-elle pas devenue son exact contraire nous éloignerait de la nature comme de la politique ?
Ce sont ces questions qu’explore avec nous Quentin Bérard dans l’émission de janvier 2023 « Impasses de l’écologie politique ».


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