Nous accueillons Arnaud Blaret pour son livre Les intendants de Dieu — un titre un peu énigmatique mais très intéressant, qui va nous occuper aujourd’hui — en deux tomes : le tome 1, « la religion écologiste expliquée aux mécréants » et le tome 2, « le pouvoir des druides », sous-titrés, Regards sur un ménage à trois, la science, la politique et la religion. _ Alors votre propos est très hérétique, là pour le coup, puisque vous menez une enquête très fouillée, très détaillée, très intéressante, sur un point qui est extrêmement méconnu, qui est le rôle de la religion dans le discours écologiste, si je peux dire. Et vous mettez en évidence un concept, l’éco-théologie, qui est en réalité la conversion de la théologie chrétienne à l’écologie. Est-ce que j’ai bien résumé, rapidement, le propos ?
Oui, c’est un bon départ, oui.
Une première question avant d’aborder le vif du sujet : comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser à ce domaine-là qui est extrêmement peu exploré ?
C’était l’hiver 2013-2014, je lisais quelques livres de vulgarisation sur la question climatique et je suis tombé sur le personnage fascinant de John [Houghton [1]], ancien patron de la Météo-Britannique, fondateur du prestigieux Centre Climatique Britannique, l’un des fondateurs du GIEC, et aussi… fondateur d’une ONG de réconciliation de la science et de la religion qui s’appelle la John Ray Initiative — John Ray [2] ayant été un théologien et naturaliste du XVIIe siècle. Alors je me suis procuré ses mémoires après avoir lu sur le site de la John Ray Initiative un petit texte [3] où il parlait d’une nouvelle théologie avec une doctrine qui s’appelle la stewardship, mot qu’on traduit généralement par intendance, que j’ai gardé, mais parfois vous trouvez gardien, vous trouvez gérantérant, vous trouvez plusieurs autres sens à ce mot-là. Et donc, dans les mémoires de John [Houghton], outre plein de détails intéressants, j’ai découvert les engagements religieux d’Al Gore et d’une historienne américaine, Wilkinson [4] qui avait fait l’histoire des mouvements écologistes au sein du mouvement évangéliste américain. Alors, Al Gore, c’est quelqu’un qui adhère à certains principes de cette théologie. La stewardship, d’abord. Il adhère aussi à ce qu’on appelle le principe de Noé. Donc Noé, quand il a pris les animaux sur son bateau, n’a fait aucune différence entre les animaux nuisibles ou bénéfiques à l’humanité. Et c’est aussi quelqu’un qui attaque de front Francis Bacon, le père de l’empirisme, en disant qu’il a commis une confusion morale en postulant qu’on pouvait étudier l’environnement et les lois de la nature sans secours de la religion, ce faisant, pour Al Gore, il a séparé la science et la religion et ouvert la voie à la domination de la science sur la Nature, ce que Gore [5] trouve une mauvaise chose, manifestement.
Alors justement, essayons d’entrer immédiatement dans le vif du sujet : En quoi consiste, l’éco-théologie ? Qu’est-ce que c’est que ce discours-là ?
C’est un discours qui est né en réaction à une célèbre conférence [6] donnée le 26 décembre 1966 par un historien calviniste américain nommé Lynn White [7], conférence que j’ai découverte dans le livre de Wilkinson, l’historienne des mouvements éco-évangélistes.
Article qui est assez renommé dans le milieu écologiste. Tout le monde connaît plus ou moins Lynn White.
Il y a une raison à ça. Il a prononcé ce discours dans les locaux d’une société de promotion de la science américaine [8] qui possède la prestigieuse revue Science, qui a publié l’article — apparemment la théologie est une science aux États-Unis… — au printemps 1967 et ça a fait l’effet d’une bombe, évidemment, parce que beaucoup de gens ont dit : « Comment ! attaquer le christianisme pour la crise environnementale ! ».
Oui, parce que le propos [de Lynn White] consiste de dire que la crise écologique — donc l’article date de 1966, c’est quand même assez ancien — la crise écologique a pour racine la théologie chrétienne, puisque la théologie chrétienne opère une distinction rigoureuse entre l’homme, qui est l’image de Dieu sur la terre, et justement la Terre, la Création divine ; il y a une domination de l’homme sur la Nature, que l’on voit dans la Genèse, puisqu’on est enjoint à la dominer, à nous reproduire, à la peupler, etc. Et pour [Lynn White], c’est l’origine de la crise écologique, elle résiderait dans le christianisme. Et en même temps, il y a une partie de l’article, au contraire, où il tente de donner une réponse à ça. Et c’est cette partie de l’article qui vous a particulièrement intéressé, qui est le point de départ, en fait, de ce dont on parle ce soir.
Voilà, tout à fait. D’abord, Lynn White rejette les fausses solutions à ses yeux. L’agnosticisme darwinien, pour lui, n’a pas convaincu les gens qu’ils n’étaient pas supérieurs aux autres créatures divines. Et puis aussi les néo-bouddhismes californiens, néo-taoïsme new-yorkais, il les rejette en disant c’est des modes, ça ne va pas durer. Donc il se tourne vers le christianisme et peut-être un peu curieusement, lui le calviniste, cherche chez saint François d’Assise la réponse à la solution — peut-être qu’il lorgne un peu sur le pouvoir politique de l’Église catholique. Et donc François d’Assise, pour lui, c’est un des plus grands révolutionnaires. Il a proposé, selon White, une démocratie de l’ensemble de la Création qui serait ouverte à toutes les autres créatures. Et alors, pour revenir à reprendre le fil, comment vont réagir les Églises assez vite ? Elles vont se plonger dans les relectures des anciens textes. La plus ancienne Bible anglo-saxonne, c’est la Bible du roi Jacques du début du XVIIe siècle. Elle utilise le mot dominion, alors, ils sont allés voir, dans les vieux textes hébreux : dominion ça évoque un protectorat. Donc, nous ne sommes plus les dominateurs, nous sommes les protecteurs, donc les intendants de Dieu sur Terre. Et donc, le christianisme se trouve exonéré de cette accusation. Ça, c’est la base. Et cette stewardship s’est répandue maintenant, elle est très, très, très courante. Donc, même Al Gore, qui est un évangéliste.
Donc là, c’est le fondement de l’éco-théologie ; l’Homme, en fait, est un intendant de Dieu, un gardien de la Création…
Le pape François, dans son encyclique de 2015 parle de cette attaque. Il ne dit pas que c’est Lynn White, il ne dit pas quand. Il dit qu’il y a quelqu’un qui a attaqué le christianisme, mais quil a tort. Pourquoi ? Parce que nous sommes, dans la version anglaise, les stewards. Dans la version française, il dit gardien une fois, il dit gérant une fois, si on compare les deux, le mot steward est trois fois traduit différemment. Mais c’est bien ça, c’est vraiment cette théologie auxquelles les évangélistes américains ont largement contribué dès les années 70, qui est à la base de l’encyclique du pape et de la position de l’Église catholique maintenant.
Laudato si’ [9], qui date de 2015, c’est un peu l’entrée officielle du catholicisme dans l’écologie, peut-être, auprès du grand public, au moins. C’est une encyclique qui fait référence.
Oui, mais c’est un peu faux, parce que Jean-Paul II et Benoît avaient déjà des engagements très forts, des contacts avec les orthodoxes qui ont aussi des engagements religieux très forts. La notion de péché contre la Création est aussi indissociable de ces éco-théologies. Elle naît aussi au début des années 70 chez les évangélistes, et notion de valeur intrinsèque également, donc le principe de Noé.
Le principe de valeur intrinsèque, qu’est-ce que vous entendez par là ?
Donc ça veut dire que la Création, les êtres vivants ont une valeur pour eux-mêmes, indépendamment de toute utilité pour l’humanité et indépendamment de tout jugement humain. C’est pour eux-mêmes, il n’y a pas de justification, ça existe, c’est une valeur qui existe pour eux-mêmes. Et elle est liée aussi au principe de Noé, qui est une façon de l’exprimer un peu plus populairement : Noé n’a pas fait de différence entre des animaux nuisibles et bénéfiques à l’humanité, il les a tous pris sur l’ordre de Dieu. Et la première défense semble avoir été celle de Calvin De Witt, un docteur en biologie et évangéliste américain, qu’il a défendu dès le début des années 1970 [10] lors des polémiques sur les premières grandes lois américaines sur la protection de l’environnement. Donc c’est ces évangélistes-là qui ont des réputations très conservatrices, ont joué un rôle fondamental, mais pas tous. J’ai trouvé un blog où la blogueuse américaine disait que c’est à peu près un tiers écolo et deux tiers plutôt conservateur.
Oui, parce qu’il y a des précédents, on connaît John Muir, notamment, aux États-Unis…
John Muir [11], c’est quelqu’un de très intéressant. Né en Écosse, il a un père très sévère qui lui a fait apprendre la Bible par cœur et par le martinet. Il connaissait tout le Nouveau Testament et trois quarts de l’Ancien par cœur. Il avait émigré aux États-Unis parce que le père de John Muir trouvait l’Écosse trop cool, trop laxiste. Si vous avez vu le film Breaking the Wave, vous pouvez savoir ce que ça signifie… Et donc, John Muir est aussi le premier président du Sierra Club, qui est considéré comme la plus ancienne ONG écologiste, fondée en 1892. C’est un des promoteurs des premiers grands parcs dans les montagnes. Pourquoi ? Parce que les montagnes, c’était le reste de la Création divine, non altérée par l’humanité. Ça jouait vraiment un rôle important, que ce soit dans les montagnes et pas dans les marécages — il a fallu longtemps pour que les Everglades en Floride soient reconnus comme un trésor naturel.
Oui, la wilderness était alors Montagneuse.
Oui, c’est ça. John Muir apercevant des traces de moutons dans ces chères montagnes, donc un berger était passé, il les appelle les locustes à sabots [12] — c’est les sauterelles de la Bible. C’est intéressant de voir qu’une fois ces parcs créés, il y a eu une très intéressante dispute avec un de ses anciens amis qui s’appelait Pinchot, qui était un descendant de Huguenots français, qui lui adhérait au christianisme social qui naît dans les années 1880 aussi. Et lui, il a voulu construire un barrage dans la zone protégée, et ça rendait Muir furieux : « on détruit la cathédrale du peuple » [13], c’était ses propos… Mais Pincho a gagné, ce barrage nourrit encore en eau la ville de San Francisco, et régulièrement, il y a des tentatives de restaurer la vallée telle qu’elle était avant.
Le principe est de conserver la Création telle que Dieu l’a créée ou de la restaurer telle qu’elle était avant la souillure opérée par le comportement humain.
Vous avez cité le mot wilderness, qui est très intéressant : c’est un mot anglais qui, à l’origine, se traduisait par désert, et encore très récemment. Pourquoi ? Parce que dans une Bible française, vous lisez le mot désert, généralement c’est wilderness en anglais. Ça ne désigne pas une zone ultra-sèche comme le Sahara, ça désigne une zone dangereuse avec des fauves, des bêtes sauvages et très peu d’humains. Et puis ce mot évolue. À l’époque romantique, il y a beaucoup de spiritualité dans le romantisme : on commence à trouver le sens divin dans les montagnes et pas dans les marécages, dans les montagnes, c’est typique, les chutes d’eau, etc. Et aux États-Unis, ça s’est doublé, du mythe de la frontière, les colons avançaient. Ils avaient l’impression d’être dans des zones sauvages parce qu’ils considéraient les Amérindiens comme des sauvages, qui n’avaient rien fait de cette zone. Ce n’est pas vrai, c’était géré par les Amérindiens, l’influence humaine était très forte aussi, avant l’arrivée des colons européens. Ils se sont mis en devoir de cultiver et d’entretenir, comme le Jardin d’Éden, c’était l’ordre donné à Adam par Dieu qui nous enjoint à l’entretenir. Et après quelques décennies, quand il ne restait plus grand-chose, sont arrivés les protecteurs de la wilderness — Également parfois en trahissant des promesses faites aux Amérindiens qu’ils pouvaient continuer à chasser dans les zones dont ils avaient été exclus, maintenant ça devient des zones protégées et les Amérindiens, des braconniers. Et ce concept de wilderness s’est répandu un peu partout. Il est arrivé chez nous maintenant. Moi, je viens de Belgique : n protège les loups, c’est une chose aberrante dans une zone qui est complètement humanisé. Ça demande beaucoup d’efforts. Vous avez chez vous un plan loup, et on voit bien, ça demande des efforts, de la bureaucratie, des frais, beaucoup de travail pour maintenir une fausse sauvagerie. Et ça, ça vient de la wilderness américaine.
On va rentrer vraiment dans la question centrale : En quoi est-ce que cela pose un problème ? Il y a peut-être des auditeurs qui nous écoutent et qui se disent, après tout, c’est une théologie, que l’on croie en Dieu ou pas, elle est pour la protection de la nature et la production de la nature, c’est quelque chose qui est bien. Alors pourquoi aller chercher des poux au christianisme finalement ? S’ils ont un discours qui, pour une fois, est intelligent, pourquoi le leur refuser ?
Je ne cherche pas des poux spécifiquement au christianisme, plutôt à cette inspiration du principe des valeurs intrinsèques, le principe des valeurs intrinsèques a tué l’humanisme puisqu’il nous interdit de gérer l’environnement en termes de valeurs humaines. Et la démocratie a suivi parce que sans le droit de discuter de la crise environnementale en termes humains, il n’y a plus de démocratie possible. Tout s’est dilué dans une vaste nébuleuse qui décide pour nous. Là, je veux citer un personnage très important qui est David Ehrenfeld [14]. C’est un biologiste de la conservation, un des grands fondateurs de la biologie de conservation. Il a écrit un chef-d’œuvre qui est L’Arrogance de l’humanisme [15]. Lui, c’est l’humanisme qu’il accuse d’être responsable de la destruction de l’environnement, l’humanisme, parce que les humanistes ont abusé de leurs croyances en les filles de la raison pure, la science et la technologie. Donc c’est un scientifique, mais c’est une apostasie. Il [répudiait la science]. Je me suis plongé dans ce livre et me suis dit que la seule façon de lui répondre… son raisonnement est d’une logique imparable, à condition qu’on accepte le principe de valeur intrinsèque. Si on le rejette — et il faut le rejeter — on peut encore traiter l’environnement en termes humains. Il faut rejeter ce principe de valeur intrinsèque.
Vous l’avez défini rapidement, est-ce que vous pouvez revenir sur cette définition-là ?
Oui, donc c’est l’idée que les éléments de l’environnement ont une valeur pour eux-mêmes, indépendamment de nous, parce qu’ils sont d’origine divine. Je vais citer aussi un autre texte très très parlant, là on est dans Biodiversity [16], c’est le livre à l’origine de la biodiversité, livre collectif, parce qu’il est issu du forum de 1986 pour lequel le mot a été inventé dans un but de marketing. L’article 55 est écrit par John Cobb, un des principaux éco-théologiens de cette époque-là, qui défend deux principes très importants dans ce texte, le principe de stewardship – décidément, c’est très à la mode —, et aussi le principe de valeur intrinsèque. Il dit que préserver la biodiversité ne doit pas se faire parce qu’elle nous sert à quelque chose — après tout, 99 % des espèces ont déjà disparu — il faut le faire parce qu’elle a été faite par Dieu et que la Bible dit que Dieu lui-même a trouvé sa Création bonne. Donc ça, ça fait vraiment le lien implacable entre le principe de valeur intrinsèque et le christianisme. Mais le christianisme n’a pas le monopole. Un autre article très important de ce livre a été écrit par Michael Soulé [17], l’un des grands fondateurs de la biologie de conservation également. Et lui, il se réfère à un sutra bouddhiste parce qu’il est bouddhiste, tout est interconnecté et donc il interprète ça comme la cause de la valeur intrinsèque. Soulé est très important aussi parce qu’il a, dès les années 80, considéré que la biologie de la conservation était une discipline « orientée mission » [18], qui est à la biologie ce que la guerre est aux sciences politiques [19]. Et dans son article de Biodiversity, il soutient le droit d’utiliser la manipulation émotionnelle pour convaincre les incrédules en disant que les décomptes d’espèces c’est très bien, ces analyses, mais ça ne convertit pas. Il veut convertir. Pour convertir, il dit qu’il faut faire appel aux spécialistes du marketing, les publicitaires, les faiseurs de présidents et tout ça. Donc on est vraiment là, dans ce forum, dans un monde militant, absolument militant. Un autre personnage fondamental de ce livre, c’est le coordinateur, Edward Osborne Wilson, un très prestigieux entomologiste. Lui, il est vraiment très spécial. Il a eu trois appels religieux dans sa vie, trois appels « de l’autel » [20]. Le premier, celui des baptistes, une religion évangéliste qui interdit le baptême tant que les enfants ne comprennent pas de quoi ça parle. C’est lui qui demande le baptême à 14 ans. Il trouve ça trivial. Il perd la foi en Dieu, mais pas en la religion. Il a son deuxième appel religieux, celui de la science, l’étude des fourmis, c’est sa spécialité. Et puis, il y aura le troisième, le militantisme. Dans son militantisme, son grand rêve, c’est de réconcilier la religion et la science, bien qu’il soit techniquement athée, parce qu’il ne croit plus en Dieu, mais il est toujours très religieux. Il se dit très religieux, sans Dieu.
Tout ça est très compliqué parce que réconcilier la science et la religion, déjà en philosophie, ce n’est pas évident... Mais concrètement, à propos de l’écologie, ça l’est encore moins. Il y a plusieurs raisons. D’abord, on peut rappeler que dans l’histoire de l’humanité, l’être humain n’a cessé de modifier son environnement. C’est un mythe, celui du bon sauvage, que de croire que les sociétés anciennes, avant le néolithique ou avant la modernité ou avant l’Occident, avant l’invention de la science ou quoi que ce soit, les humains vivaient en harmonie avec la Nature. C’est faux de A à Z. On sait très bien que les forêts tropicales ont été modifiées très profondément par les peuples humains, que les oasis ont été créées par les êtres humains également, qu’il y a eu un déboisement très important lors de l’apparition de l’agriculture, etc. On vit sur une Terre qui est anthropisée, très largement, qui est influencée par l’être humain, qui est lui-même un animal, qui modifie son environnement, évidemment — les végétaux aussi modifient leur environnement de manière assez profonde [21]. Et la question est : de quelle manière on modifie l’environnement ? Alors que le discours que vous nous présentez, le discours de l’éco-théologie, est un discours qui exclut l’être humain en réalité. Il faudrait que l’être humain arrive à s’effacer en face d’une Nature qui serait intrinsèquement meilleure que lui. En fait, c’est ça : l’être humain est pêcheur et ne cesserait de modifier indûment une Création qui lui est supérieure, si j’ai bien compris.
C’est ça. Et alors, on est vraiment très avancé. Vous connaissez peut-être l’accord de Kunming-Montréal, la COP 15 de la biodiversité 2022. Il va falloir protéger 30 % entière de la planète. Protéger contre quoi ? Contre l’humanité. Et il va falloir vivre en harmonie avec le monde pour 2050. Et là, on est dans un rêve complètement fou. Nous avons eu en Belgique récemment une consultation populaire sur l’adaptation de la stratégie à la biodiversité pour 2030. J’ai participé, j’ai envoyé une critique, je dirais, de ce principe de valeur intrinsèque, car il est présent dans ce texte, où on nous dit que la biodiversité a une valeur intrinsèque parce qu’elle a été conférée par l’évolution et que les espèces ont une valeur intrinsèque. Et ça, c’est complètement aberrant. D’abord, les mécanismes de l’évolution sont aveugles, au point qu’il est impossible de donner une définition claire et complète de la notion d’espèce, comme prouvé par Darwin. C’est fondamentalement nous qui devons nous arranger un peu pour rogner les bords, pour que ça tienne ensemble. Et donc les espèces n’ont pas d’existence intrinsèque, donc elles ne peuvent pas avoir de valeur intrinsèque, ni aucune autre, enfin, sauf celles que nous leur donnons.
Et puis même dans la science biologique, le terme de biodiversité, qui est très beau, c’est un très beau terme, qui est très reluisant, qui est très positif, ne veut pas dire grand-chose réellement. Ce n’est pas le nombre d’espèces qui compte…
Je reviens au forum de 1986. Il a été spécialement inventé parce que c’est un joli mot. Il est vrai qu’on trouve quelques occurrences accidentelles avant, mais c’est vraiment là que s’est jouée la chose. Wilson, le coordonnateur, dit dans la préface du livre et dans ses mémoires qu’il s’y est opposé parce qu’il trouvait ça trop tape-à-l’œil. Il voulait garder diversité biologique. Mais c’est ce passage. Après, il dit aussi, je me suis trompé. Pourquoi ? Parce que succès phénoménal. Le livre a fait 13 éditions papier. Maintenant, il est gratos sur l’Académie américaine des sciences américaines. Donc, c’est vraiment un texte fondamental que tout le monde doit lire. Ehrenfeld a aussi participé. Il a fait un article où il défend l’impossibilité de donner une valeur monétaire aux espèces et à la biodiversité. Donc, c’est un livre vraiment important. C’est un tournant. Et Ehrenfeld, dans une interview intérieure, dit que ça a marché. Il n’aime pas non plus le mot. Il dit que c’est un slogan, c’est à la manière de la télévision, c’est l’effet télévision, c’est plus facile, avec les médias audiovisuels qui se développent. « Diversité biologique », c’est trop lourd, ça passe peut-être bien dans un texte, mais à la télévision, non. Il faut pouvoir parler de manière plus percutante. Et c’est comme ça que ça a pris.
Contrairement à ce que la plupart des gens croient, pour les scientifiques, les écologues, la biodiversité est un concept extrêmement flou. Très concrètement, on ne sait pas, effectivement, il y a une difficulté à préciser d’abord le nombre d’espèces, la définition d’une espèce, et ensuite la préservation de toutes les espèces, c’est-à-dire qu’il faut aussi que l’on conserve les virus, il faut aussi que l’on conserve les parasites, il faut aussi que l’on conserve… C’est une absurdité, en fait. On ne peut pas admettre que plus il y a d’espèces, mieux c’est. Il y a quelque chose de paradoxal : c’est très comptable aussi, cette question, ça fait très spirituel et très comptable. C’est un nombre d’espèces qu’on déterminerait [à protéger] et plus il y a d’espèces, mieux ce serait. Ce n’est pas le cas du tout, en termes écologiques, ce n’est pas ce qu’on trouve sur le terrain. Et on exclut également la biodiversité d’origine humaine : systématiquement, lorsqu’on parle de biodiversité, on exclut les animaux domestiques, toutes les variétés de blé, les variétés de vaches, de cochons, etc. c’est une chose qui ne rentre pas du tout en ligne de compte. Alors que si on veut être rigoureux, il faut compter avec une diversité génétique, qui est incommensurable et qui a été créée par l’être humain au fil des millénaires [22].
Voilà, et donc quelques précisions intéressantes aussi. Ehrenfeld, dans l’Arrogance de l’Humanisme, dit qu’il faut protéger Variola, le responsable de la variole, qui est une espèce en danger. C’est aberrant, ça. Et la seule façon de dire qu’il ne faut pas protéger variole, en réalité, c’est de rejeter le principe de valeur intrinsèque.
Le Covid-19, le virus du Covid-19, devrait être respecté également…
Absolument. Ebola, le Covid-19, tout ça, elle a le droit d’exister comme n’importe quoi d’autre. C’est le principe.
À moins de montrer qu’il est une création humaine : effectivement, si jamais c’est une création de laboratoire, là, pour le coup, on peut le détruire.
Et pour le rejet de ce qui est domestiqué, Wilson est un bel exemple aussi. Il aperçoit un pécari au Suriname, mais il est domestiqué, alors c’est pas bon. Il a perdu son essence. Et aussi, pour lui, une des raisons qui l’a rendu militant, c’est qu’il faisait des rêves. Il revenait sans cesse sur une île tropicale et chaque fois, il y avait des fermes et des champs en plus : c’est mauvais. Pourtant, il se proclame humaniste. Non, il fait des cauchemars qui culpabilisent l’humanité, c’est très clair, et ça le rend militant.
Oui, en fait, la Nature est l’incarnation du Dieu, en quelque sorte.
De l’œuvre divine, oui. Ou d’une spiritualité, parce qu’il y n a plusieurs, comme Wilson, qui ont une spiritualité, mais pas avec un être tout puissant, alors on dit que c’est l’évolution. Il y en a qui naviguent beaucoup. En plus, Ehrenfeld ne parle jamais de ses engagements, mais il a quand même co-organisé avec un certain Rabin la première conférence sur le judaïsme et l’écologie. Soulé a fait en 1981 une conférence à San-Diego sur la religion et l’écologie. Il a invité Arne Naess [23], ce philosophe Norvégien qui a inventé le terme écologie profonde…
… l’écologie [profonde] ou deep écologie…
Où toutes les créatures reçoivent une valeur intrinsèque aussi. Ils sont devenus grands amis.
Lui qui est très clairement anti-humaniste, je crois que son engagement est assez clair, il n’y a pas de faux-semblants.
Oui, je pense. Soulé aussi. Il y a une anecdote dans les années 90. : les [économistes], sans doute jaloux du pouvoir politique des bioconservateurs, inventent le service écosystémique [24] — une autre aberration : faut tout arracher à l’environnement, même moindre radis doit s’arracher, il ne nous donne rien l’environnement. Soulé s’emporte en disant comment ! les humanistes et leurs alliés commencent à s’emparer du combat écologiste ! [25]. Donc il est aussi anti-humaniste, très clairement.
Et cette re-sacralisation de la Nature, en fait, c’est étonnant parce que dans votre livre, vous pointez cette éco-théologie tenue par des spécialistes de la question, mais on la retrouve très fréquemment dans le discours écologiste agnostique ou païen.
Oui, par imbibation. On s’imbibe d’idées qu’on ne comprend pas. Aujourd’hui, les idées ne partent plus du corps social, elles partent d’une vaste nébuleuse mondialisante dont l’ONU est le centre, et puis elle nous retombe dessus. Ces gens-là pratiquent la latéralité dans leur sein, mais ça nous tombe dessus verticalement. À coup de slogans, comme « biodiversité », c’est un slogan. Ou anti-slogans, c’est-à-dire des expressions dénigrantes, qui, comme un slogan ont pour but qu’on n’aille pas voir ce qu’il y a derrière, mais qui, au lieu de vanter un produit, le condamnent.
C’est aussi peut-être l’expression d’un fond chrétien, qui est chez chacun d’entre nous, européens, et qui s’exprime de cette manière-là. On le retrouve dans d’autres domaines : dans le domaine de l’aide humanitaire, on se retrouve aussi avec des postures qui sont extrêmement judéo-chrétiennes, où on voit le Christ dans le pauvre, ou dans le migrant, ou dans le musulman et que l’on protège absolument de manière intrinsèque, en lui-même, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse. Il y a aussi un fond culturel, à mon avis, qui remonte et qui rentre en osmose, en fait, avec le discours de tous ces théologiens dont vous démontez le discours.
Oui, tout à fait. Par exemple, le secrétaire général de l’ONU est quand même assez exemplaire. Il lance des imprécations à la Savonarole contre l’humanité : « Nous chantons un autre chant, nous avons brisé l’harmonie » [26]… Et puis, c’est le retour à l’harmonie qu’il demande, avec l’accord de Kunming. Ça, c’est le fond qui a été un manifeste.
Absolument. Vous abordez dans votre livre des côtés plus concrets, notamment autour de l’agriculture biologique. Est-ce que vous pourriez en parler un petit peu de l’application de cette éco-théologie à l’agronomie ?
L’agriculture biologique [27] est antérieure à l’éco-théologie proprement dite. Elle est clairement due à une révolution spirituelle européenne contre ce que les pionniers de l’agriculture biologique appellent « la science matérialiste ». Le tout premier, c’est Steiner qui fait de la biodynamie [28]. Là, c’est un peu dans un délire… Par exemple, il nous dit que la grande erreur de la science matérialiste, c’est de penser que la fécondation a lieu dans la fleur. Ça ne peut pas être comme ça. Pourquoi ? Parce que la fleur, elle est dans l’atmosphère, donc elle appartient au royaume des cieux, c’est le Père, la Mère, c’est la terre. Donc il faut que la fécondation ait lieu dans les racines. Et alors il invente un bal de gnomes, d’ondines, [de sylphes], d’esprit du feu, pour que tout ça arrive à ce que la fécondation ait lieu dans les racines. Alors Steiner a une petite influence, mais les autres pionniers se sont vite détournés de lui. Mais il a quand même suggéré à Lord Northbourne [29] la mention du terme organic farming qui, contrairement à ce qu’on croit, signifie en fait considérer la ferme comme un organisme. Il est emprunté à Steiner. L’organicisme bas de gamme et le holisme bas de gamme sont très répandus dans les milieux écologistes.
Oui, considérer en fait ces entités comme des organismes à part entière.
Voilà, et appliquer les propriétés de l’organisme aux écosystèmes, donc ça c’est très fréquent. Le champion le plus raffiné, c’est Whitehead [30], mais lui c’est vraiment très raffiné. Ce qu’on trouve en général autour de soi, c’est des versions très très très simplifiées de ça. Idem pour le holisme, qui a été inventé par Smuts [31], qui est toute une théorie de l’évolution, où l’esprit tombe d’en haut, à la fin on apprend que l’esprit tombe d’en haut, et qui est surtout retenu pour son idée que le tout est plus que la somme des parties. Mais c’est beaucoup plus complexe que ça, sa vision. C’est aussi un peu oublié, le terme est resté pour des choses beaucoup plus simplistes. Et donc revenons à Lord Northbourne, qui est un co-fondateur de la Soil Association, la plus ancienne organisation bio, dont la principale fondatrice était Lady Eve Balfour [32], dont le livre The Living Soil finit par un appel à une révolution chrétienne. Là, il n’y a vraiment aucun doute. Northbourne est aussi chrétien, mais il est pérennialiste, c’est-à-dire qu’il croit que toutes les religions ont une même origine, oubliée depuis longtemps, que chacun suit son chemin et qu’à la fin, ils vont se retrouver dans une grande réconciliation des religions qui marquera la triomphe de la spiritualité sur la science matérialiste.
On a hâte d’y être…
Oui, vous avez aussi un personnage très intéressant dans cette fondation de la Soil Association, Lord Portsmouth [33], un politicien conservateur qui s’est immigré à un moment donné au Kenya. Il était l’un des premiers grands développeurs de la pyrèthre, une plante qui fournit un des pesticides bio les plus importants. Et lui, il était persuadé que les mythes du jardin d’Éden et l’Âge d’Or correspondaient bien à une réalité, non pas littérale, ce sont des mythes, mais qu’il y avait bien eu une époque harmonieuse. Autre variante, l’idée qu’il faut revenir aux chasseurs-cueilleurs. John Cobb dit qu’il avait avec son collègue Paul Scheppard de nombreuses discussions là-dessus parce que Scheppard était pour et disait que le vrai paradis était la période des chasseurs-cueilleurs et Cobb disait non, il y a une grande différence avec le christianisme, on ne peut pas revenir au jardin d’Éden parce que des anges gardent l’entrée, et puis, notre seule issue, c’est l’apocalypse, qui doit apporter une rédemption supérieure, une valeur supérieure à ce que nous avons perdu avec le péché originel, qui est donc le fait qu’Adam mange le fruit de l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, d’où le cliché récurrent aussi que la connaissance est contraire à la sagesse.
Et aussi l’Apocalypse, qui est quand même un trope qui est très présent dans le discours écologiste et dans le discours général [34].
Tout à fait. Alors, il faut bien se rendre compte qu’il n’est pas très précis, l’apocalypse. On peut l’interpréter de manière différente. Il y a ceux qui disent qu’il faudra rendre à Dieu la Création telle qu’il nous l’a donnée. Ils sont écologistes, en général. Ceux qui disent non, on ne va repartir de rien du tout, ceux-là, ils voient presque avec plaisir le désastre écologique parce que ça va apporter un monde nouveau, meilleur que tout ce que nous avons fait.
Alors revenons-en à la question de l’agriculture biologique. Même si les fondements sont religieux, le principe n’est pas idiot : l’agriculture contemporaine, moderne, mécanisée et chimique peut être critiquée.
Bien entendu, on peut tout critiquer. L’agriculteur biologique, les pionniers, s’imaginaient que la Nature était capable de se vacciner et de produire ses pesticides toute seule. Ce n’est pas le cas. Alors, il a fallu changer. On a commencé à prendre des pesticides aussi. On dit oui quand c’est tiré d’un minéral ou d’une plante, c’est naturel, donc c’est meilleur. On a là le dualisme. Typiquement, dans la polémique sur les pesticides, s’il est le produit d’une invention, d’une nouvelle molécule inventée par l’homme, ce sera d’office rejeté, quel que soit l’usage qu’on en fait, parce que Dieu ne veut pas que nous fassions des molécules. Seul Dieu peut faire des molécules.
Et à l’inverse, si on utilise une molécule naturelle, on peut utiliser sans réserve et sans problème.
Il y a un chercheur belge qui a passé huit ans à extraire une molécule de plante et il est persuadé que ça c’est bon, c’est bio. Donc, c’est bon pour l’environnement d’office. Mais si on abuse, l’abus nuit en tout. Donc, ce n’est pas la qualité, que la molécule soit faite par une plante ou par l’homme, ce n’est pas ça qui compte. Évidemment, il ne faut pas abuser. On a des problèmes avec les abus avec certains pesticides. Ça ne fait aucun doute. Il ne faut pas le nier.
Et à l’inverse, par exemple, en bio, on utilise la bouillie bordelaise à base de cuivre. On sait que cela entraîne une pollution des sols aux métaux lourds qui est assez importante et dont on parle assez peu.
En même temps, c’est des molécules qui existent dans l’environnement. Et puis, on les concentre, ça pose des problèmes, ça c’est clair.
Donc l’approche est complètement biaisée, en réalité.
Complètement. Il y a toujours un lobbying qui pousse. Et on remarque d’ailleurs que, dans la plupart des cas, les agriculteurs non labellisés bio ont le droit d’utiliser les produits bio. Ils ont donc une supériorité manifeste. Mais alors on les enferme dans une pseudo-catégorie, on dit conventionnelle, ils n’ont signé aucune convention. On y met n’importe qui, ils n’ont aucun point commun. Tous ceux qui n’ont pas d’engagement idéologique, on les met dans cette catégorie. Moi je préfère les appeler agriculteurs libres, il y a le pire et le meilleur. Mais parce que ces agriculteurs ont le droit d’utiliser toutes les techniques, de sélectionner le meilleur, de faire du cherry picking comme on dit en anglais, de choisir la meilleure cerise, ils ont une supériorité potentielle qui force les nombreux lobbies bios à s’attaquer à eux évidemment. Parce qu’eux se refusent à des techniques qui pourraient être bonnes, mais qui n’entrent pas dans leur credo.
Et ce sont aussi des gens qui ont plus de liberté. Dans votre livre, il y a le dernier chapitre qui me semblait assez important, où vous parlez de la disparition de la démocratie. Puisque justement, à partir du moment où on considère que la Nature est bonne en elle-même, il n’est plus question que les gens qui sont en contact avec la nature, les agriculteurs, les bergers, les pêcheurs, aient à décider quoi que ce soit. Il faut qu’on leur impose de l’extérieur des normes, la présence du loup ou de l’ours, etc. Il n’est plus question de l’expression des premiers concernés.
Oui, maintenant il faut sacrifier une partie des cultures, des forêts. Je discutais dans mon village avec deux personnes qui s’étonnaient qu’on ne pouvait plus ramasser du bois dans les forêts communales, on le laisse pourrir. Ça fait partie de ce culte.
Donc le principe est d’exclure l’être humain de la question écologique. C’est ça qui est étonnant, c’est que c’est une écologie qui a tendance à éloigner l’être humain de la nature.
Ah oui, tout à fait, nous sommes les grands coupables, nous sommes en trop sur Terre.
Il n’y a pas de perspective, en fait, dans cette politique…
Et là, le pouvoir est confisqué par ce que j’appelle le clergé, cette religion environnementale dont le grand dogme est la valeur intrinsèque. Il y a des théologiens, il y a des éthiciens, il y a des philosophes de l’environnement qui sont un peu… Et puis, il y a le clergé, les ONG, les scientifiques militants qui ont reçu de l’ONU un pouvoir important depuis le rapport de la commission Brundtland de 1987 qui dit nommément qu’il faut donner plus de pouvoir aux scientifiques et aux ONG [35]. Et puis, il y a aussi des fonctionnaires qui sont dédiés à ça. Et puis, il y a des juges complaisants. Et tout ça fait que le pouvoir politique n’émane plus de nos élus. Nos élus ne sont plus nos représentants, ils sont les courroies de transmission de ce qui se décide ailleurs, quelque part dans la nébuleuse mondialisante. Ils n’ont plus de liberté d’action en notre faveur.
Mais comment expliquer que la science, que les scientifiques, soient si proches du discours éco-théologique ?
Ah, je crois qu’il y a une grande influence américaine. En Amérique, il n’y a rien à faire, tout est spirituel, même la science, on le voit bien. Une conférence sur la théologie qui est publiée dans la revue Science, c’est quand même symptomatique. Et ceux qui ne le sont pas, ils finissent par être éjectés du mouvement politique. Wilson, c’est quand même incroyable, il ne croit pas en Dieu, mais il croit en la religion. Et puis, ça passe chez nous en raison de la force de leur culture. On est aussi une société chrétienne où il y a des échos, parfois inconscients. Donc, c’est un terreau fertile.
Et des crédits également ; les laboratoires dépendent aussi de l’écho que leurs travaux rencontrent. Et s’ils veulent débloquer un crédit, il vaut mieux alerter la population plutôt que de dire que, finalement, la biodiversité, dans tel ou tel endroit, ne va pas si mal, que dans tel ou tel endroit, elle s’enrichit, qu’on pourrait discuter de sa mesure, de sa pertinence, etc.
Alors encore une petite chose que j’ai oublié de dire sur la valeur intrinsèque : elle est très très importante, elle se trouve déjà dans la première phrase de la convention de 1992 sur la diversité biologique qui dit : « les parties contractantes, conscientes de la valeur intrinsèque de la diversité biologique… »
Un point intéressant aussi c’est que les brouillons mentionnaient une phrase en anglais du style : « … reconnaissant que l’humanité doit partager l’environnement avec les autres formes de vie… » qui est un peu la même chose dans une formulation très proche de l’écologie profonde donc manifestement il y a eu des influences…
Il y a aussi quelqu’un qui a supprimé, au dernier moment, cette expression. De même le mot « biodiversité » qui apparaît de temps à autre dans le brouillon disparaît complètement dans la version finale donc il y a quelqu’un qui, comme Wilson, a dû trouver que c’était trop tape-à-l’œil, ce mot, et qui a préféré rester [avec l’expression diversité biologique ]. Donc il y avait encore probablement des petites résistances mais maintenant le mot biodiversité est sur toutes les lèvres, il a gagné la partie !
Ce principe de valeur intrinsèque est fondamental parce que dans la tradition humaniste occidentale, effectivement, l’homme est mesure de toute chose. C’est ce qui fonde le principe de l’autonomie, c’est-à-dire la capacité de l’être humain à décider de lui-même de ce qu’il a à faire, opposé à la notion d’hétéronomie, que reprend Castoriadis où l’être humain va dépendre de quelque chose d’autres – hétéro-nomie — qui va lui dicter ses lois, ses croyances et ses principes et c’est évidemment l’aliénation religieuse, l’aliénation auprès la Nature — ce dont on parle — l’aliénation auprès d’un Parti qui va dire ce qu’il y a à penser, ce qu’il y a à faire, sans aucune délibération collective. Ce que vous décrivez est un pur retour à l’hétéronomie, en fait : on dépend maintenant de ce que la nature est, ou de ce que l’on croit qu’elle, est sans discussion et donc vous avancez la notion de « biocratie ».
Oui. Donc biocratie est un mot que j’ai emprunté à une éco-théologienne féministe américaine qui s’appelait Sallie McFague, c’est très proche de l’idée de Lynn White de démocratie de l’ensemble de la Création, donc tout dans l’univers reçoit des personnalités, des valeurs intrinsèques… nous sommes les cousins des étoiles et des planètes mêmes, dit-elle dans son livre. Puis…
… ce qui est vrai au sens le plus rationnel du terme mais qui n’est pas un engagement non plus…
Nous sommes certainement cousins de tous les êtres vivants, mais des étoiles et des rochers, je suis un peu moins sûr… Donc j’ai repris ce terme qui représente bien le fait qu’elle appelle elle-même à remplacer la démocratie par la biocratie, je pense qu’on est dedans…
C’est explicite ?
[Cet appel] est explicite dans un texte des années 90 que je me suis procuré et on est dedans donc maintenant.
L’environnement et tous ses composants ont une valeur intrinsèque, pour eux-mêmes donc il n’y plus moyen de discuter de la valeur de la biodiversité, il n’y a plus moyen de discuter de la valeur du climat, il n’y a plus moyen de discuter de l’environnement lui-même.
On nous appelle à respecter l’environnement… alors moi je suis bien d’accord qu’on ne doit pas jeter ses crasses dans l’espace public ou dans le jardin du voisin mais c’est de la civilité, c’est une question de rapport entre humains… l’environnement se fout d’être couvert de plastique ou d’ordures, c’est pas son problème c’est le nôtre et il est grave évidemment, il ne faut pas le nier non plus…
Bien sûr parce que ce n’est pas un discours modérantiste que vous tenez : la question n’est pas de nier la crise écologique c’est d’arriver à la surmonter, à la traiter et c’est pas en plaquant des catégories spirituelles qui nous sont propres que l’on va réussir à régler quoi que ce soit.
Voilà… Moi la solution que je propose c’est une renaissance humaniste qui doit avoir pour premier but de nous redonner ce droit d’évaluer la crise environnementale en termes humains, en termes de valeur humaine. D’abord il faut comprendre qu’on nous l’a volé, pourquoi, comment, c’est le but de mon livre. Et puis aussi de rendre la gestion de cet environnement à des professions qui ont des objectifs en termes humains, des objectifs de résultat en termes humains, donc agronomes agriculteurs, forestiers, bio-ingénieurs. Il faut aussi une biologie de l’adaptation plutôt qu’une biologie de la conservation, il faut chasser les conservationnistes de la gestion de l’environnement. Ils se sont attribué un monopole, un quasi monopole dans cette gestion et à coup de valeur intrinsèque... Ça a une valeur, elle est intrinsèque — en pratique c’est quoi ? Ben c’est à nous à le déterminer ! Nous, nous ou le clergé du culte. On ne dit pas le clergé du culte, mais c’est ça qu’ils sont…
Oui, voilà, parce que l’on parle de « bio-cratie » opposée à démocratie, mais en en réalité c’était pas « la vie » qui va décider de quoi que ce soit. Moi je parle par d’une « éco-cratie » [36] : ce ne sont pas les écosystèmes qui vont décider de quoi que ce soit, il y a bien des gens qui parleront au nom de cette « Vie », au nom de cet « écosystème », au nom d’un « intérêt supérieur ». Donc c’est une hypocrisie insigne. C’est exactement comme le Parti bolchevique qui parlait au nom de l’Humanité, au nom du Prolétariat. On est quasiment dans la théocratie : il y a un clergé. C’est c’est tout l’objet du deuxième tome de votre livre, « le pouvoir des druides » : il y a des gens qui s’arrogent un pouvoir particulier
Voilà… mais cette théocratie, ce clergé, ce sont des gens, ce sont des interpréteurs, des mandataires et des interpréteurs, ils recherchent la vérité qu’ils croient spirituelle et éthique, qu’ils voient se situer dans l’environnement. Ils ne vont pas commencer à discuter de ce qui est bon ou pas pour l’humanité…
Vous faisiez un lien avec l’éco-féminisme est-ce que vous pourriez en dire plus ?
Oui, il y a une autre personnalité que j’ai trouvée dans mes recherches qui s’appelait Rosemary Radford Ruether, qui était une théologienne catholique qui a écrit un article intéressant dans un livre collectif de l’ONU publié en 1999 qui s’appelle Spiritual and Cultural Values of Biodiversity et que je surnomme la « Bible » de la biodiversité parce que vous la trouvez sur le site de l’ONU [(UNEP)] sous le nom « Cultural - Spiritual - the Bible ». Et donc l’article qu’elle écrit dans ce livre est très intéressant parce qu’elle lie spécifiquement l’oppression des femmes avec la dégradation de la Nature attribuée au patriarcat. Et ça c’est un terme de l’intersectionnalité contemporaine qui était donc déjà là il y a 30 ans, c’était une théologienne catholique en plus, américaine évidemment parce que tout ça vient en grande partie des États-Unis.
Alors ce livre est très important, il y a d’autres parties dont on devrait parler un peu… Il y a dans ce livre un culte du bon sauvage [imposé aux peuples autochtones] qui est omniprésent. Il y a une introduction qui est faite par Klaus Töpfer, qui était un homme politique démocrate chrétien allemand qui était le président de l’UNEP, donc le programme environnemental de l’ONU, qui dit que nous devons retisser des contacts et [signer] un nouveau pacte avec l’environnement — comme si c’était une personne. Et la même année ce Klaus Töpfer va faire un speech au Conseil œcuménique des églises, une association qui accueille des délégués de toutes les Églises chrétiennes du monde. Il y défend ouvertement la doctrine de l’intendance donc on voit bien — on a quand même un haut représentant de l’ONU — que la neutralité religieuse de l’État est morte, due à la mondialisation de l’environnement, parce qu’on n’imagine pas un ministre français faire devant l’archevêché un discours pareil, c’est impensable, pourtant personne ne semble avoir bougé à l’époque quand un haut responsable de l’ONU fait l’équivalent devant une assemblée religieuse.
Et [cette mort de la neutralité religieuse de l’État] était à prévoir en fait parce que l’immense majorité des gens sont des croyants. Maintenant il y a une évolution générale à intégrer les conditions écologiques dans les religions du monde entier et il y a une ONG éco-religieuse qui a joué un grand rôle dans ce processus, elle s’appelait l’Alliance de la religion et de la conservation, fondée par le WWF sur une idée de son président de l’époque le duc d’Édimbourg. Et cette association a été gérée par Martin Palmer qui était — qui est toujours — un théologien britannique. Elle a fermé ses portes quand le duc et Palmer ont décidé que la tâche était accomplie, donc que l’ensemble des religions du monde entier avaient pris conscience qu’elles devaient se réformer face à la crise environnementale et l’intégrer dans leurs valeurs. Donc un peu partout dans le monde maintenant c’est fait, il y a des adaptations éco-religieuses dans toutes les religions du monde. Quelques actions continuent comme « la Foi dans la finance », donc orienter la finance des Églises pour faire quelque chose de plus écologiste, suivant leurs principes… mais qui a entendu parler de cette ONG ? Pourtant le WWF tout le monde sait ce que c’est, le duc d’Édimbourg quasiment tout le monde savait qui c’était… C’était un de ses fleurons, je pense, cette association, disparue non pas par échec mais parce que la tâche est accomplie,
Ils considèrent que leur mission est terminée ?
Voilà, d’avoir conscientisé les religions du monde entier sur la nécessité d’intégrer un discours écologiste dans les programmes religieux.
C’est en réalité faire de l’atteinte à l’environnement à péché.
Voilà, mais c’est très chrétien, le péché… On n’est bien sûr pas obligé d’adopter les conditions chrétiennes... Le péché dans l’environnement apparaît dès le début des années 70 chez les évangélistes américains et il s’est répandu maintenant chez les orthodoxes, chez les catholiques, et c’est problématique évidemment puisque à la sacralisation du Créateur c’est ajouté la sacralisation de la Création et donc on ne peut plus éviter le discours religieux dans le domaine politique de l’[environnement], ce n’est plus possible. Pourtant on joue encore à défendre une neutralité religieuse qui maintenant est un échec, c’est clair…
Et c’est devenu dans le langage le plus courant un « écocide » : on porte atteinte à un écosystème.
L’écocide à son origine — j’ai encore vu récemment dans un journal — c’est détruire les ressources écologiques d’une population dans un conflit guerrier et puis c’est devenu maintenant une atteinte à l’écosystème lui-même considéré comme ayant une valeur intrinsèque...
Le glissement est intéressant…
Il y a aussi le « dommage environnemental » qui est un concept qui est déjà dans la législation française —pas encore dans la belge mais ça va venir, il y a déjà eu une décision de justice prise en ce sens — ça veut dire que là maintenant l’environnement c’est une personne qui peut subir un dommage.
Avant dans le droit civil il fallait toujours qu’il y ait une victime, ce qui est assez logique d’ailleurs… on change l’environnement, en quoi c’est un dommage si personne n’est atteint dans sa santé ou dans sa propriété ? Maintenant, oui maintenant avec l’éco-théologie on a le dommage environnemental, c’est la biocratie en marche.
Et qui parlera au nom de l’écosystème ?
Ah, le clergé du culte… Qui va définir ça [le dommage environnemental], qui va témoigner devant les tribunaux, comme expert ?
Ce sont les scientifiques.
Et pas n’importe lesquels : ceux qui ont un engagement [pour l’environnement]. Et qui va aller en justice ? Les ONG réclamer des sous — ça arrive par fois qu’elles reçoivent des sous [des tribunaux].
On voit la constitution d’un clergé qui se revendique l’intégrité de la Nature.
Voilà, exactement, de la valeur intrinsèque…
Et étant donné que l’être humain ne peut pas vivre sans la modifier à des échelles diverses — et plus on est nombreux plus on modifie évidemment — l’humanité est coupable en permanence…
Voilà. D’où l’idée qu’il faut préserver 30 % — l’objectif est 50 % — 30 % c’est déjà acté
… d’espace vierge.
Ce n’est pas vierge : on peut faire du développement – non, on ne peut pas en faire, on peut faire de la durabilité, pas du développement durable.
Durabilité… Quelle différence vous fait entre les deux ?
Durabilité, c’est d’abord une mauvaise traduction de l’anglais « sustainability ». Développement durable c’est une réaction contre cette idée… « Sustainability », en fait, c’est un masque, c’est une version cosmétique de ce qu’on a appelé la « croissance zéro du Club de Rome » ou l’état économique stationnaire en fait.
J’ai trouvé dans mes recherches une anecdote qui vaut ce qu’elle vaut mais qui est intéressante : vous savez qu’il y a eu en 1972 un très célèbre livre « Halte à la croissance », The Limit to Grow en anglais, qui avait quatre auteurs. On dit parfois « le rapport Meadows » mais il avait deux autres auteurs et le troisième c’est Jørgen Randers, un physicien norvégien qui travaillait au MIT — qui a fait l’étude — et qui était aussi un participant enthousiaste au groupe « Sciences et technologies » du Conseil œcuménique des Églises et en 1974 il y est allé faire une conférence pour essayer de vendre sa croissance zéro. Il s’est heurté à une levée de bouclier des représentants du Tiers-monde qui ont dit : pas question que l’Occident utilise la crise environnementale pour nous empêcher de nous développer comme vous vous l’avez fait - c’est une constante de toutes les COPS [conférences des parties], ça revient toujours ! Alors il a arrêté, il a fait une pause café avec Charles Birch qui était un des organisateurs — qui nous a raconté l’anecdote dans ses Mémoires — Birch était tout à la fois un docteur en biologie et un éco-théologien [de l’école] de Whitehead comme John Cobb et donc il est revenu [à la conférence et] il a inventé une formule : une société écologiquement et économiquement durable donc « sustainable ». D’après Cobb c’est l’origine de la version moderne du mot « sustainable » qui est très ancien en anglais mais c’est de là que ça viendrait la version écologiste. Très vite après ça il y a des gens qui ont dit : mais quand même on doit pouvoir se développer et donc il y a eu le développement durable — sustainable development — qui a été le point 1 de l’ordre de mission donné par l’ONU à la commission Brundtland qui a déposé ses conclusions en 1987, y compris le fait qu’il faut donner plus de pouvoir politique aux scientifiques et aux ONG, parce qu’ils vont faire une économie, on le suggère dans le rapport, [l’ONU] va faire une économie
Le paradoxe, en fait, de cette éco-théologie et que, sous couvert de théologie, de spiritualité, on donne d’autant plus de pouvoir aux scientifiques.
Oui, oui, mais pas qu’à eux, mais effectivement, c’est une manie des responsables politiques de se cacher toujours derrière des experts maintenant. Il y a une véritable dictature des experts et quand on les écoute les experts, ils disent « mais les politiciens ne nous écoutent pas » — mais bon ça c’est autre chose…
Donc en fait on va droit vers une sorte de technocratie, de « techno-scientocratie » derrière des apparences très généreuse et très spirituelle…
Ça n’est pas si évident que ça parce que quand on voit la corruption d’une partie de la science par le militantisme, que c’est ceux-là qui arrivent finalement au pouvoir politique, c’est pas toujours des technocrates. Parfois aussi des gens comme on l’a vu qui ont des positions spirituelles très très opposées à certaines visions technocratiques.
Des idéologues en réalité
Oui c’est ça, des scientifiques idéologues comme les Soulé, comme les Ehrenfeld comme les Wilson, comme…
Plus près de nous on a une Greta Thunberg, par exemple, qui n’est ni scientifique ni théologienne mais qui a un discours à la fois très religieux et très pro-science : c’est elle qui hurle en permanence « écoutez les scientifiques » et qui a en même temps une attitude très militante
Il n’y a pas qu’elle... là on prend en otage les scientifiques en disant voilà la science dit ça » et souvent c’est des opinions politiques, idéologiques, spirituelles qui en théorie ne regardent pas les scientifiques, c’est pas eux qui doivent déterminer ça… Certains le font, donc il y a pas que Thunberg qui fait ça…
Non bien sûr mais c’est la plus connue, même si elle est un peu en perdre de vitesse ces temps-ci…
Oui, c’est de sa faute, elle se lance dans de la transectionnalité… Voilà elle se fait entraîner. Mais il faut savoir qu’il y a un précédent : la grande réunion de 92 à Rio qui était ouverte par la fille de David Suzuki qui avait 12 ans qui a fait un beau discours qui a ému aux larmes et puis bon elle a milité encore, mais n’y a pas eu la focalisation médiatique comme pour Thunberg…
C’est la figure de l’innocence, l’Agneau…
Voilà on prend un enfant… comme les gens qui poussent des landaus dans des manifestations politiques.
Dans votre livre vous abordez donc énormément l’éco-théologie, c’est votre sujet, mais vous êtes très discret à propos des lobbys scientistes par contre, qui existent aussi. Je pense par exemple aux OGM : vous êtes très critique envers les critiques, et vous avez entièrement raison, et en même temps on vit aussi dans un monde où il y a des intérêts qui sont autres que théologique, des intérêts industriels et des intérêts scientifiques également…
Les OGM, d’abord la première chose… ce qui m’irrite c’est le terme OGM lui-même, c’est ce que j’appelle un anti-slogan…
C’est compliqué…
C’est pas compliqué, c’est tout simplement qu’il y a pas de définition claire, chacun fait sa définition comme il veut et donc c’est ce que j’appelle un anti-slogan… Toute personne qui parvient à relier un concept au mot OGM, eh bien ça va dénigrer ce concept. Par exemple, il y a les opposants aux vaccins à ARN, il y a des gens qui en font des critiques très valables auxquelles il faut répondre et il y en a d’autres dont le seul but c’est de les faire passer pour des OGM parce que comme ça, ça va les dénigrer tout de suite. Ils ne peuvent pas être des OGM parce que suivant la directive 2001.18 qui était d’application en Europe, les êtres humains ne sont pas des organismes suivant la loi — c’est un peu bizarre mais c’est comme ça — et puis ces vaccins ne sont pas nés d’un processus de reproduction et en tout cas le l’homme qui a ça en lui c’est pas un processus de reproduction et ça peut pas être ça. Maintenant on légifère donc sur un concept qui ne veut rien dire, donc ça c’est déjà un problème et les opposants aux biotechnologie a deux grands groupes. Il y a un groupe spirituel très ancien qui sont les héritiers de ceux qui s’opposaient déjà aux transfusions sanguines et aux vaccins. Tout au début, au 19e siècle il y a eu le docteur Paul Carton qui était un spiritualiste et aussi premier mentor de Raoul Lemaire, le premier supporter de l’agriculture biologique française, et puis maintenant il y a des héritiers de cela, qui disent que c’est contre l’harmonie du monde de faire des vaccins, de faire des OGM et tout ça. Ça évidemment je le réfute complètement. Puis il y a un autre courant qui s’inquiète de la main mise des grandes sociétés capitalistes sur les vaccins biotechnologies, et peut-être n’ont-ils pas tort. On pourrait les calmer en donnant un pouvoir plus grand à l’État mais plus personne ne demande ça… Les libéraux non, on comprend pourquoi, mais même les gens… même les anticapitalistes ne demandent pas qu’on donne à l’État un pouvoir sur les biotechnologies. Pourquoi ? Parce qu’il y a une position de fond idéologique largement spirituelle. Il y a eu d’ailleurs, en France, Jean-Marie Pelt qui était un biologiste qui disait ouvertement [son opposition aux OGM] pour des raisons spirituelles. J’ai lu un de ces livres — après la conclusion de mon livre sinon je l’aurais cité parce que c’était très intéressant – c’est quelqu’un qui en France revendique ouvertement la spiritualité pour s’opposer à des biotechnologies, c’est rare. En général on passe par des faux fuyants…
Il y a une critique réelle des OGM qui me semble beaucoup plus rationnelle.
On peut critiquer chacun d’entre eux spécifiquement. Ça doit se faire au cas par cas, dans tandis qu’une critique globale sur quelque chose qu’on ne sait pas définir moi je n’en vois pas…
Non mais partir du principe qu’une manipulation génétique dans un laboratoire n’est peut-être ni nécessaire ni souhaitable et qu’il n’y a aucun débat démocratique à ce propos.
Il faut voir laquelle. Donc, oui bien sûr, on peut dire ça, mais il faut voir quelle manipulation…
Or maintenant on a introduit des — je n’ai pas lu la dernière directive européenne [sur les OGM] –- des concepts comme la cis-génie et la trans-génie qui sont une allusion à la barrière des espèces, qui vient de la Bible qui dit que Dieu a créé ces créatures selon les espèces. C’est de là que vient cette idée qu’il existe une barrière des espèces, mais on sait bien que l’évolution prend des zigzags un peu partout depuis Darwin on sait qu’elle n’existe pas cette barrière des espèces, pas de manière essentielle !
On a l’impression que votre discours laisse la porte ouverte à absolument toutes les manipulations…
Oui c’est vrai, c’est inévitable parce que je dis qu’il faut faire au cas par cas donc comment… Oui et non, je ne vois pas quel argument global on peut dire contre le principe qu’on fait une manipulation génétique, on en fait plus la nuit des temps
À d’autres échelles…
Tout à fait ça, c’est absolument, ça, à d’autres échelles, donc c’est bien l’échelle de temps qui pose des problèmes dans les manipulations… Là on est d’accord, l’ampleur et l’échelle de temps...
Il y a des mouvements populaires, parfois, qui s’opposent à des à des nouvelles technologies qu’ils ne comprennent pas, en fait. Ça me fait penser au mouvement antinucléaire, par exemple, à la Hague, qui disait « les experts sont venus, nous on était contre par principe parce qu’on n’avait rien compris. On était contre mais peut-être que c’était bien ou pas ». En fait moi j’avais trouvé que c’est c’était assez parlant, parce que c’était aussi contre le pouvoir des experts, c’était quelque chose qui était imposé d’en haut. Ça aurait été une usine de casserole ça aurait été pareil ,mais on était contre par principe : on comprend rien donc on est contre et du coup ce rejet des OGM, il y a aussi ça derrière « vous allez modifier notre vivant on ne comprend rien on veut on en veut pas ».
Il y a une crise crédibilité des experts mais assez paradoxalement elle concerne surtout les techniciens et les technologies dans le grand public et pas la science académique qui a encore un grand prestige — à mon avis largement gâté par le militantisme et un jour je pense que ça va quand même péter quand on verra les excès de ce militantisme scientifique.
Du coup c’est des deux côtés : il y a la partie « expert » qui va être pro-OGM et la partie « expert » scientifique qui va être contre mais les citoyens sont un peu perdus au milieu de tout ça…
Moi je crois qu’un expert intelligent comprend que OGM, ça veut rien dire et qu’on doit regarder : voilà on a produit une plante pour qu’elle produise son pesticide, ça pose toute une série de problèmes incontestablement et d’un autre côté je parle dans mon livre d’une anecdote : en 2017 il y a eu une grande panique, on part à la chasse aux graines de pétunias orange. Alors c’est quoi ? C’était le résultat d’un test commit dans les années 1980, avec les premières biotechnologies de l’époque. Juste un test, mais voilà elle tombe sur le coup de la définition des OGM au même titre que les plantes plus préoccupantes qui produisent des pesticides et du coup on détruit, on fait un autodafé, et moi ça m’énerve ça, on est plein obscurantisme, qu’un pétunia soit orange par une manipulation traditionnelle ou parce que en occurrence on a pris un bout de génome du maïs, on s’en fout, on devrait s’en foutre…
Je suis pas certain. Je suis beaucoup plus dubitatif sur les prétentions de la science à savoir ce qu’elle fait…
Ah oui, un scientifique conscient sait qu’il ne sait pas ce qu’il fait…
C’est compliqué, à partir de là, de donner un blanc-seing…
Il y a un discours technophile qui est dangereux ça je vous suis, un discours technophile qui est dangereux
On est d’accord, on se retrouve là-dessus. Et derrière en plus, en toile de fond, c’est une chose qui ne répond éventuellement à aucun besoin de la population. C’est-à-dire que les OGM je sais pas trop quel moment les populations ont été consultées et même chose à propos du nucléaire : il y a jamais eu aucune consultation, du moins en France. Donc cela charrie à la fois une réaction viscérale, une envie de souveraineté et à la fois une méfiance vis-à-vis d’une chose qu’on ne comprend pas et, au fond,il y a pas grand monde qui comprend. Beaucoup de scientifiques manipulent et ont très très peu de réflexion à propos de ce qu’ils font. Ce sont des techniciens qui exécutent. Dès qu’on peut faire quelque chose, on le fait, en science. Cela nous conduit à des manipulations… À quel moment on aura l’autorisation de manipuler des êtres humains ? Est-ce que nous avons des objections non religieuses à ce genre de chose ?
Oui bien sûr. Ça dépend aussi quelle manipulation…
Personnellement je suis contre le fait de manipuler [génétiquement] un fœtus humain je suis pas sûr que nous soyons nombreux à le vouloir…
Je suis plutôt contre aussi mais ça dépend quoi, ça dépend de ce qu’on fait. Mais le coup de génie des opposants c’est d’avoir inventé ou récupéré cet anti-slogan OGM parce que personne ne se soucie qu’on crée une nouvelle variété de tomates par des méthodes traditionnelles sans qu’on leur demande leur avis. Il y a d’ailleurs un exemple très très intéressant dans Biodiversity le livre [issu du forum de 1986 pour le marketing duquel a été inventé le mot biodiversity], qui émane de Hugh Iltis, aussi un des grands pionniers de la conservation. Il parle d’une tomate sauvage qui est trouvé par hasard dans les Andes avec un collègue, il est envoyé à un laboratoire et le laboratoire à force de manipulations a fait une magnifique tomate beaucoup plus sucrée parce que la tomate sauvage était plus sucrée que la moyenne, donc ils l’ont combiné avec les anciennes pour avoir une tomate super sucrée et celle-là n’est pas considérée comme un OGM. Il a mis 15 ans pour faire ça je crois le gars ! Oui, est-ce tellement bon de manger des tomates plus sucrées que jadis ? Trop de sucre c’est pas bon non plus, on ne se pose pas la question et personne ne leur reproche d’avoir fait ça et encore maintenant si on fait quelque chose comme ça je ne pense pas qu’il y a grand monde qui va se plaindre du moment que c’est perçu comme naturel. On n’a pas enfreint les lois divines.
Là vous avez tout à fait raison, il y a un clivage entre… Le mot « naturel », le mot « nature » est investi de toutes les qualités, vous êtes très explicite là-dessus : une chose qui est présentée comme naturelle va être vendue de toutes les manières possible et imaginable, à l’inverse une chose présentée comme « artificielle » ou « de synthèse » ou « sophistiquée » ou d’ « origine humaine » attirera immédiatement la méfiance [37]. Effectivement c’est une absurdité totale là pour le coup.
Ça ouvre la question du sens véritable du mot « naturel ». Moi je suis allé dans le Dictionnaire philosophique Lalande qui est très confus mais qui finit par donner 15 antonymes au mot naturel. Ça veut dire qu’il y a au moins 15 [sens différents au mot]. Mon préféré à moi, c’est « surnaturel » : tout ce qui existe est naturel sauf les fées, les fantômes et les divinités — auxquelles je ne crois pas personnellement — donc tout est naturel avec celui-là. Mais pour la plupart des gens l’antonyme c’est « humain » ou « artificiel ». Alors moi je connais une épicerie où je demande du lard on me demande : naturel ou fumé ? Pourtant le lard est cuit aussi quand il n’est pas fumé mais bon c’est dans le langage populaire. Quand on écoute il y a des quantités de sens à ce mot-là, c’est vraiment…
Alors que c’est un changement de sens qui est relativement récent à l’échelle de l’histoire parce que si on va jusqu’au XIXe siècle, à l’époque la nature n’était pas vue du tout de manière positive, on fuyait au contraire les milieux naturels qui étaient vus comme malsain. Il y a eu un tournant hygiéniste et puis on a inventé la plage, on a inventé la montagne, on a inventé la Nature qui répare, le soin à travers les remèdes naturels, etc.
Ou comme je disais on a mis longtemps avant de commencer à a protéger les marécages et maintenant dans le rapport de la [Cop 15 de la biodiversité en 2022] il est mis que X % des zones marécageuses ont disparu, c’est présenté comme une catastrophe ça. Au XIXe siècle on éliminait ça pour transformer en zones viables et les Marais pontins étaient une calamité dans l’Antiquité à cause des moustiques.
Zones humides qui sont émettrices de dioxyde de carbone et de méthane, d’ailleurs… Donc là aussi il y a une contradiction dans le discours écologique.
Oui parce qu’ils émettent des gaz à effet de serre.
Ce discours théologien, c’est vraiment pour vous un discours complètement hors sol ? C’est-à-dire qu’il n’y a pas de relais, par exemple des paysans qui seraient dans une sorte de religion ?…
Mais il y a beaucoup d’agriculteurs qui ont un contact spirituel avec leur terre ça c’est certain… enfin leur métier c’est encore de produire de la nourriture. Ils sont parfois très désorientés avec les mesures qui les en privent, qui minent leur tâche...
En fait parler de naturel… Est-ce qu’il y a une limite ? Parce que par exemple il y a beaucoup de gens qui fantasment sur par exemple les Inuits en disant que c’est quasiment des ressources naturelles… Est-ce que dans cette théologie de l’écologisme on veut se débarrasser de tous les humains y compris les autochtones ?
Non il y a vraiment un culte chez le secrétaire général de l’ONU c’est très clair… Ces gens-là [les peuples autochtones] vont nous montrer la voie. Ils ont tout compris…
C’est le mythe du Bon Sauvage…
… dans ce que j’appelais la Bible de la biodiversité, c’est constamment comme ça… et alors on vante leurs techniques de médecine et parfois c’est consulter les ancêtres…
Par contre nos autochtones européens eux, ils ont tout faux…
Mais on est peu autochtone nous, parce qu’il faut vraiment être la première population… c’est ça qu’ils appellent [autochtone] : des gens qui sont vraiment là depuis le début… À l’ONU, nous on est les héritiers de bergers celtes, de soldats romains, de vikings donc on n’est plus autochtone, on est un mélange… Ça, c’est quand on regarde les définitions de l’ONU, c’est ce genre de [chose].
On n’est plus pur, en fait
C’est pour ça qu’il y a parfois l’expression « population locale et autochtone » pour faire la différence à l’ONU. Indigène ou autochtone c’est pas la même chose.
En même temps c’est très paradoxal parce que durant un millénaire le discours de l’Église était au contraire un discours de prééminence occidentale vis-à-vis des autres peuples, qui a justifié les colonisations, les conquêtes, etc. Et c’était aussi un discours qui encourageait les scientifiques à découvrir les secrets de la Création justement. Alors c’est compliqué, c’est l’histoire de Galilée, l’Église a été aussi un obstacle à la découverte scientifique, à l’innovation, à la compréhension et, en même temps, c’est Saint-Thomas je crois, l’Église a encouragé l’investigation du monde naturel. Aujourd’hui il y a un retournement complet, en réalité.
Oui enfin il ne faut pas sous-estimer… le Pape a une académie pontificale qui n’est pas nulle d’ailleurs c’est un des rares dignitaires religieux qui ne ferme pas tout à fait la porte aux biotechnologies. Je cite dans mon livre la réaction d’un travailleur chrétien, travailleur social chrétien qui est furibard contre le Pape pour le fait qu’il a autorisé des hosties OGM, donc furibard. [rires] Pourquoi pas ? et donc il y avait des gens notamment, j’ai oublié son nom là, qui est allé protester [contre l’interdiction des OGM]… il y avait un scientifique, Ingo Porticus je crois ou un autre, qui était membre de l’Académie pontifical qui défendait les biotechnologies… Donc le pape est à l’écoute de la science, mais évidemment il interprète ça aussi dans son [sens].
Là pour le coup c’est une science qui devient vraiment orientée. Je suis pas sûr qu’il soit qu’il encourage une science qui irait contre les principes de l’éco-théologie.
Pour lui toute espèce qui disparaît c’est une partie du message divin [qui disparaît]…
Oui mais ce n’est pas le discours d’un scientifique qui serait rigoureux dans sa démarche
Ah non le Pape n’est pas un scientifique, enfin au moins il a une académie…
Par rapport à Darwin : est-ce que ce n’est pas en contradiction parce qu’ils veulent la diversité des espèces mais, les religions en général, pas l’évolution des espèces…
Ça dépend. Comme je le mets dans mon livre il y a plusieurs types de créationnisme : le créationnisme de la Jeune Terre, ça c’est le créationnisme le plus obtus : la Bible dit que…. c’est comme ça, voilà !
Et puis il y a un créationnisme évolutionniste… notamment je recommande le site de Biologos qui est une société qui fait ça, qui essaie de combiner [la religion chrétienne et l’évolution]. Évidemment il faut faire des compromis entre la Bible [et l’évolution]. Le fondateur s’appelle Francis Collins c’est un généticien. Pour la petite histoire pendant l’affaire du Covid il était le supérieur hiérarchique d’Antony Fauci. Donc c’est quelqu’un qui est quand même de l’establishment qui a créé cette société. Alors on a vu pendant cette affaire un prêtre italien faire un billet sur ce site de biologos qui disait que non, le vaccin n’annonce pas l’arrivée de l’Antéchrist et il n’est pas le produit du diable. Donc apparemment il faut expliquer ça aux Américains !
Ce n’est pas évident pour tout le monde…
Il y a beaucoup de critiques qu’on peut faire au vaccin évidemment mais quand même un peu plus rationnelles que ça…
Quel remède vous verriez à de manière à sortir de cette impasse éco-théologique ?
Donc c’est la Renaissance humaniste qui doit nous rendre le droit de discuter de l’environnement en termes humains d’abord, le gérer en termes humains, de manière locale.
Surtout il faut rendre l’environnement à ceux qu’il environne parce que là on est tout à fait perdu avec des gens dans leurs nuages qui nous gouvernent et des élus qui ne font plus leur boulot de représentants.
Et local peu importe hein il ne faut pas…
Est-ce que vous voyez des gens aujourd’hui, des personnalités ou des mouvements, des institutions qui iraient dans le sens d’une émancipation vis-à-vis de cet éco-théologie ?
Je vois quantité de gens comme vous et comme moi je ne vois aucun mouvement…
Des gens normaux…
Ce que j’appelle des « hors-castes », en fait, des gens qui sont pas dans la nébuleuse mondialisante, dès qu’on met le pied là-dedans… Mais il y en a beaucoup… il y en a plus que ce que je croyais quand j’ai écrit mon livre…
Vous avez réalisé des rencontres intéressantes ?
Oui par exemple Christian l’évêque que vous avez interviewé [38]…
Mais qui est un peu seul lui aussi…
Mais oui, mais il y a quand même beaucoup de gens seuls, quand même vous montrez ici un tas de livres écrits par des gens seuls, ça fait beaucoup de gens seuls qui pensent comme ça… mais il n’y a pas de… c’est très difficile de faire un mouvement.
Ça veut dire qu’il y a pas d’espace entre ceux qui dénigrent l’écologie complètement et…
Il y a pas d’espace politique.
Tous ceux qui défendent l’environnement actuellement sont dans la religion ?
Quelque part oui, volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment. Je n’ai vu personne en Belgique s’opposer à l’accord de Kunming, donc protéger 30 % de la planète… contre quoi ? Contre nous, clairement ! Vivre en harmonie avec la Nature pour 2050… Il y a quand même pas mal de mouvements politiques en Belgique et en France qui se sont opposés à cette vision par le passé, où sont-ils maintenant ? Il y en a beaucoup qui défendent la neutralité religieuse de l’État sans le savoir ou sans vouloir le voir, mais ils l’enfreignent eux-mêmes.
Comment vous expliquez une telle régression ?
Ah ! Bonne question ! Il y a évidemment la crise environnementale qui est sérieuse… Pour moi c’est celle d’un monde dynamique dont la vitesse de changement augmente, c’est très dangereux !
On s’est raccroché à nos vieilles illusions pour résoudre ça, par le respect et la révérence. Raison pour laquelle je propose une libre pensée environnementale sans laquelle on n’arrivera jamais à trouver les solutions qu’il faut pour l’humanité. Donc cette opposition entre humanisme et écologie dont j’ai été convaincu par David Ehrenfeld. Il y a au moins une personne en Belgique qui l’a affronté, c’est Paul Magnette, le président du Parti socialiste dans un livre qui s’appelle « La vie large », dont un point remarquable est que pour défendre l’humanisme il dit qu’il faut attaquer la valeur intrinsèque. Mais le but de son livre c’est de combiner humanisme et écologie. Alors comment fait-il ? Et bien traditionnellement, contre le principe de valeurs intrinsèque, on oppose des valeurs utilitaires. Comme il est socialiste il rejette les valeurs utilitaires commerçantes des libéraux et c’est vraiment pas le problème. Il défend ce qu’on peut appeler des valeurs utilitaires non marchantes, l’esthétisme, le bien-être psychologique et des choses comme ça. Oui mais comment les utilise-t-il pour être écologiste ? Et bien pour conserver la nature ! Donc en faisant ça il fait rentrer la valeur intrinsèque par la porte de derrière. En plus… dans une vision humanisme il y a aucune raison de ne pas défendre des valeurs utilitaires non marchandes de manière dynamique et progressiste.
Par rapport au à l’anarchiste géographe Élisée Reclu, et je pense qu’il y a eu d’autres socialistes qui étaient dans un peu dans le même courant d’idée, qui est considéré actuellement comme un précurseur de l’écologisme moderne, lui avait une vision très utilitarisme de la nature : en fait il voyait presque ça comme le repos de l’ouvrier qui à la fin de sa tâche pénible avait le droit d’avoir un beau paysage devant lui et avait le droit d’aller se balader en forêt et de profiter de la nature en fait.
Oui ça me fait penser à un cas un peu parallèle qui s’est produit en Inde ou des paysans et des « gens normaux » je dirais, essayaient de lutter contre des grands groupes qui modifiaient le rapport à l’environnement et ça a été présenté comme de l’écologisme par certains auteurs. Mais je pense que c’est faux : ce sont deux conceptions humanistes qui se battent sur le champ de bataille de l’environnement et chacun veut utiliser l’environnement suivant des philosophies très différentes.
L’humanisme c’est pas monolithique, David Ehrenfeld dit qu’il y a autant d’humanismes que d’humanistes. En fait ce n’est pas une chose qu’il faut regretter, qu’il faut repousser, il n’y a pas de vérité humaniste universelle.