Élections 2022 : le règne oligarchique

jeudi 23 juin 2022
par  LieuxCommuns

Ce texte fait partie de la brochure n°27 :

Pulsions d’empire

Poussées impériales dans les sociétés occidentales



Concernant les élections précédentes, on lira 2007, l’oligarchie s’affirme, ainsi que Élections françaises 2012 : L’oligarchie à visage humain et Élections 2017 : le coup d’État oligarchique.


Élections 2022 : le règne oligarchique
Élections 2022 : le règne oligarchique
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Les élections françaises suivent depuis des décennies une trajectoire en spirale descendante : chaque scrutin accentue les traits les plus régressifs du précédent. Les non-campagnes électorales n’arrivent même plus à cacher la nullité des prétendants tandis que le délabrement omniprésent de la société est devenu un fait admis. Ca­chée par une apparente continuité institutionnelle, la crise de régime larvée ré­vèle un chaos idéolo­gique et so­cial qui s’appro­fondit et nous fait entrer dans un univers de moins en moins fa­milier.

Le paysage politique français semble se décou­per en trois ensembles distincts ; le parti du pou­voir, les partis-zombies et l’ensemble de la population.

Le parti du pouvoir est le parti unique médiatico-oli­garchique, qui a progressivement émergé au fil des al­ternances électorales depuis au moins quarante ans.
La décomp­osition sans fin des partis de « gauche » et de « droite » aura finalement formalisé cette nébuleuse com­posite autour de E. Macron. Ces cercles techno-ges­tionnaires, assujettis aux organismes transnationaux (Ue, Otan, Onu, Oms, Giec…), administrent au jour le jour les af­faires cou­rantes en accompagnant cahin-caha les ten­dances lourdes de notre époque. Ce clan ne gouverne pas mais règne, sur­plombe une so­ciété éclatée, archipellisée en négociant au coup par coup entre corporations, lobbies, clans, commu­nautés et réseaux sans ligne idéologique clai­rement identi­fiable. Les sempiternelles accusations de « néolibéralisme » pré­fèrent ignorer l’énorme techno-bureaucratisa­tion d’une société presque entièrement sous perfusion per­manente de finan­cements publics, donc aux ordres. Ce parti se réclame de l’ordre et de la paix, à mesure qu’il tra­vaille à leur dispari­tion, multipliant les in­jonctions para­doxales pour instiller une terreur souriante.
Il s’appuie sur les classes les plus aisées et ceux qui as­pirent à s’y insérer, coalition des divers secteurs bénéficiaires de la mondialisation et comptant bien le rester, quoi qu’il ar­rive et quoi qu’il en coûte.

Les partis-zombies sont ces nébuleuses mouvantes et arrivistes prétendant à l’opposition et à l’alternative.
Ils cultivent à des­sein le faux clivage idéologique « gauche-droite » per­mettant de rabattre l’exaspération populaire sur les formes stériles de l’électoralisme. Les ra­vages des totalitarismes ont converti la gauche à la seule conquête et gestion de l’État et forcé la droite à incorporer lesfondements du gauchisme culturel. Cette célébra­tion dans le politique­ment correct entre la « so­cial-démocratie » et la « droite libérale / néo-gaulliste » a accouché du parti du pouvoir. Mais elle a aussi mécani­quement en­gendré, depuis une dé­cennie, la reformation de poses radic­ales sur des bases « populistes ». C’est ici que la confu­sion des mots et des idées est portée à incandes­cence : les notions hier « de gauche » comme le travail, la nation, la laïcité ou la li­berté ont été échangées contre les principes de charité publique, d’im­portation de main-d’œuvre, de soumis­sion religieuse et de censure néo-mora­lisatrice ; tandis que « la droite », histori­quement partisane de l’éli­tisme héréditaire, du sépa­ratisme culturel ou de mise en concurrence mondiale des tra­vailleurs, vante aujour­d’hui la méritocratie scolaire, l’assi­milation des étrangers et la pré­férence nationale. Ce qui pro quo est verrouillé par la bien-pensance, et pourri d’anathèmes, de démagogie, de clientélisme et d’arri­visme où même les éléments de véri­té sont défendus par des men­songes.
Toute recomp­osition populaire des repères po­litiques, culturels ou an­thropologiques ne pourra se faire que par la pulvéri­sation de ce brouillard idéologique à partir des réalités vé­cues et hors des chantages à l’orthodoxie.

La population française s’est elle-même résignée au poison délicieux de la société de consommation après les massacres totalitaires du XXe siècle.
Installée dans l’ima­ginaire de la croissance du niveau de vie et de la paix ci­vile depuis les mythiques Trente Glo­rieuses, elle sait avoir tout à perdre des transformations en cours. Les multiples insécurités s’amplifient et se multi­plient, sociales, culturelles et maintenant physiques, effri­tant peu à peu un quotidien vécu comme l’aboutissement de l’histoire universelle. Elle prend len­tement conscience des basculements de mondes qui s’opèrent et entraînent sa dis­parition pure et simple en tant qu’unité culturelle, acteur politique et sujet de son destin. Du « vote anti-système » ou « flottant » à l’abstention massive, du mouvement des gilets jaunes aux complotismes multi­formes, ses mul­tiples réactions expriment un instinct de survie qui ne semble dé­boucher que sur le désespoir et la dépression.
Progressivement, son univers se clôt dans le divertisse­ment et l’insigni­fiance, tissant un ensemble de colère ren­trée, de cynisme angoissé, de conformisme apeuré et de dépendance tech­nologique du berceau à la tombe – renfor­çant le monopole d’un pouvoir qui ne compte plus rendre de comptes à personne.

Cette situation est l’aboutissement d’un pour­rissement depuis deux ou trois gé­nérations. Elle découle, en dernière analyse, du retrait historique des peuples européensde la scène politique après avoir méta­morphosé leurs sociétés mé­diévales. Les institutions occidentales, notamment républicaines, ayant été forgées dans ces conflits multisécu­laires, si­non millénaires, ce que l’on appelle crise politique ou institutionnelle est en réalité un régime dont les fonde­ments se sont déro­bés, devenu hors-sol, symptôme d’un délabrement ci­vilisationnel. La situation peut être qualifiée de méta-stable, ou en surfusion, capable de bascu­ler brusquement. Derrière cette stabilité trompeuse, la confusion se généralise dans tous les domaines et la désagrégation sociale se présente comme un emboîtement de cercles vicieux que rien ne pa­raît pouvoir enrayer. Il s’agirait alors de comprendre si le chaos qui s’étend accouchera d’un autre ordre, et lequel.

Différentes grilles de lecture ont été avancées : pro­gressistes contre conservateurs ; bloc élitaire ver­sus bloc popu­liste ou mondialistes opposés aux pa­triotes ; métro­poles et banlieues face à la France rurale et périphérique ; etc. En réa­lité, et de tous points de vue, le délitement occidental est d’abord la fin de toute créativité histo­rique et populaire qui nous arrache au projet démocratique pour laisser s’installer un univers de type impérial, caractérisé par un état autoritaire et sur­plombant, ponc­tionnant un troupeau humain irrémédiable­ment atomisé en classes, communautés, statuts, territoi­res, relig­ions, corpora­tions, lobbies… Cette tendance histo­rique oriente profondément l’évolution du paysage poli­tique.

L’État impérial est évidemment préfiguré par le par­ti médiatico-politique, qui s’affranchit progressive­ment de tout dispositif démocratique, contrôlant la sphère économique et creusant les écarts de ri­chesse, rançonnant les fractions de populations sou­mises et désarmées, pro­mouvant et recrutant celles ca­pables d’exercer leur domina­tion, arbitrant la concur­rence généralisée des producteurs entre eux, accélé­rant leur émiettement social et leur écla­tement culturel par l’ingénierie migratoire intra et interna­tionale. La seule direction gouver­nementale de la caste macronienne est cette realpoli­tik, qui aménage cette pente vers laquelle tout semble converger et d’abord la pression géopolitique des aires impériales chinoise, russe ou turque entrées en concurrence mimétique.

La fausse dissidence est assurée aujourd’hui par les partis-zombies. Ils œuvrent à rendre inconcevable toute unité populaire, d’abord en entretenant l’illusion d’une in­compatibilité entre la question sociale et la question iden­titaire ou nationale, puis en les instrumen­talisant au profit des dynamiques impériales.

Le cartel des « gauches » emmené par J. L. Mélen­chon se pose en rentier des souffrances des déclassés mais ex­prime plus le consumérisme contrarié. Il ré­veille les tro­pismes millénaristes en faisant miroiter un monde d’abon­dance illimitée, de technologies sal­vatrices et de ré­conciliation universelle. Sinistre héri­tier du totalitarisme com­muniste, il en reprend l’ambi­tion : la destruction par tous les moyens de l’inventivité historique occidentale, profondément étrangère à la lo­gique impériale. Ses moyens sont le sabordage de ses re­pères culturels et anthropologiques (« wokisme ») et l’al­liance avec ses enne­mis mortels que sont l’islamisme, le communau­tarisme et le racia­lisme aujourd’hui connectés à une délinquance de gangs devenue envahissante. L’éloge des régimes autoritaires, russe ou latinos, rejoint sa com­plaisance pour l’impéria­lisme capillaire musulman. Le sa­botage du mouvement des gilets jaunes par ces militants montre que ces mouvances incarnent l’avant-garde de la destruction de l’expression populaire par l’imposition d’une Novlang.

Les divers débris de la « droite » capitalisent facile­ment l’horreur que ces perspectives soulèvent chez un peuple qui refuse son dépeçage. Les Le Pen et Zem­mour monopolisent la question identitaire ou nationale, profitant de la panique montante face aux monumen­taux bascule­ments démographiques et culturels. Leurs diatribes plus ou moins martiales contredisent le « progressisme » techno-capitaliste qu’ils louent mais dont le principe est précisément de court-circuiter toute possibilité d’auto-limitation, frontiè­res et tra­ditions en premier lieu. Ces pseudo-conservateurs res­sassant des grandeurs passées refusent de distin­guer la constitution historique d’une Europe polycentrique et les poussées unificatrices impériales, jusqu’ici inabouties et dont ils sont en réalité nostal­giques. Ici aussi les trahissent leurs affinités avec un régime russe renouant avec ses am­bitions colonisatrices.

Les populations françaises, et plus généralement eu­ropéennes et occidentales, ayant tissé au cours des siècles de multiples dispositifs de contrôle de l’État, se re­trouvent littéralement livrées à une nouvelle sauva­gerie. Les classes populaires sont prises en tenaille entre une couche domi­nante parasitaire qui la ponctionne et lui interdit toute réaction et la démul­tiplication des prédations, razzias et terreurs exercées par une néo-barbarie im­portée. Leur seul horizon plébiscité est celui de la souveraineté populaire, ou démo­cratie, jus­qu’ici assurée conjointement par le principe de la nation et de la justice sociale. Deux piliers de l’imaginaire occiden­tal que les totalitarismes ont pro­fondément discré­dité sous la forme du nationalisme et du socialisme. L’évolution an­thropologique mondiale les rend de toute façon difficile­ment envisageables : la nation n’est plus à l’échelle du monde, et le projet d’égalité sociale est incon­cevable au sein d’un agrégat « multi­culturel » qui ne peut plus s’appeler « société ».

Ces considérations donnent sens à l’accen­tuation de phénomènes déjà connus : l’abstention crois­sante se ré­vèle ainsi le rétablissement de fait du suf­frage censitaire c’est-à-dire l’invisibilisation du pays profond, déjà consi­déré comme minorité négligeable ; le pouvoir d’achat, dont l’obsession est savamment entretenue, est en réalité considérée comme le dernier sauve-qui-peut permettant de fuir momentanément par l’ascension sociale la précari­sa­tion et l’ensauvagement engendrés par l’ar­bitraire étatique ; le vote communautai­re participe à la recompo­sition des élec­torats en lobbys eth­no-culturels, l’« extrême droi­te » incarnant le vote des au­tochtones et assi­milés ; enfin la dissolu­tion de la question écologique la désa­morce, permettant son instru­mentalisa­tion pour préparer l’éta­blissement d’instances mondiales de gouvernement sous couvert d’internationa­lisme forcé.

De la décomposition politique interminable semble émerger une logique impériale, que l’on n’a jamais vu s’installer sans guerre civile. Mais la crise de régime qui s’ouvre enfin pourrait être l’occasion d’une clarifica­tion et d’une recomposition politico-intellectuelle. Il y aurait à articuler les questions politiques, sociales, identitaires et écolo­giques, parfaitement indissociables, en direction de cette émancipation individuelle et collective dont l’Occident est encore porteur. Cela exigerait, avant toute chose, de commencer à lutter contre la bêtise purulente, qui confine à l’épidémie.

Lieux Communs – Juin 2022


Commentaires

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Élections 2022 : le règne oligarchique
samedi 30 juillet 2022 à 19h41 - par  Bernard FILATRE

Bonjour à vous, Etant globalement d’accord avec vos analyses, je trouve dommage le « il y aurait à articuler... » de la fin de l’article. D’asprès ce que je peux lire sur votre blog, je pense que les collectifs Lieux communs ont déjà pas mal travaillé à cette articulation ? Pour le dire plus simplement, nous pourrions être en attente (ou travailler à) une synthèse et des propositions plus programmatiques. Ne pensez-vous pas que le temps presse ? Merci pour votre travail, cordialement Bernard

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lundi 27 mars 2023 à 12h09 - par  LieuxCommuns

Bonjour,

Vous avez raison, mais en quoi consisteraient, dans notre perspective, « des propositions plus programmatiques » ? Et d’où les prononcerions-nous ?

Soit les inégalités salariales, que nous abordons avec comme horizon une égalité des revenus (salaires, retraites, etc.) : on peut lister des « mesures » que pourrait prendre un « gouvernement » (et se retrouver ainsi dans certaines formulations d’écuries électorales), mais que signifient-elles si le monde du travail reste inchangé ? Il va donc falloir articuler des orientations en ce sens, qui n’auront pas plus de sens tant elles ne sont pas alimentées à l’expérience partagée des premiers concernés (et non aux vociférations des militants syndicaux) ? Il va donc falloir proposer des dispositifs de consultations, de délibérations, de propositions qui ne soient pas bureaux des plaintes ou demande de « pouvoir d’achat », etc. mais ré-élaboration d’un réel en commun, et d’abord comme diagnostic, ce qui n’est déjà pas une mince affaire. Nous retrouvons donc la question de la démocratie directe dans tous les secteurs et ce quelle que soit la question abordée. Et la mise en place de tels organes de souveraineté ne veut strictement rien dire si ce n’est le souhait et la pratique implicite de beaucoup (et ce n’est pas le cas), autrement nous plaquons notre souhait sur une société qui rêve à autre chose, comme ces militants pour la « constituante » que nous interpellions ici :

Contre la constituante

De mauvais esprits en concluront qu’il n’y aurait donc « rien à faire » : ce site et notre activité montrent que ce n’est aucunement le cas, et ce texte d’il y a presque dix ans ouvre des pistes toujours actuelles :

Notes sur l’organisation des collectifs démocratiques

Mais tout cela est soumis à discussion.

LC

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