Sur un sujet aussi passionnel que les relations de l’homme à la nature, les préjugés en tous genres abondent. La qualité du débat écologique ne s’en trouve pas améliorée. Parmi nos contemporains, beaucoup croient pouvoir répartir les sociétés en deux camps : d’un côté, les sociétés occidentales, intrinsèquement nocives à l’environnement, et de l’autre, des sociétés vivant, et surtout ayant vécu ; en symbiose avec la nature. Les premières auraient placé l’homme au centre de l’univers, alors que les secondes ne lui auraient octroyé qu’une place bien plus modeste. Cette répartition entre des cultures anthropocentristes et d’autres qui ne le seraient pas ne résiste guère à l’examen. Cela ne doit cependant pas nous interdire de chercher à comprendre la modernité et la spécificité de nos relations à la nature.
L’anthropocentrisme pratique
Qu’est-ce que l’anthropocentrisme ? Appelle-t-il nécessairement le mépris et la dégradation de la nature ? La réponse à ces questions permettra d’éclairer quelque peu les relations que nous avons entretenues et pouvons entretenir avec la nature.
Il est possible de distinguer deux formes d’anthropocentrisme : un anthropocentrisme spéculatif et un anthropocentrisme pratique. Le premier a trait aux discours tenus dans les différentes cultures quant à la place occupée par l’homme au sein de la nature. Le second concerne la position des hommes par rapport à leurs actions, mais aussi par rapport à leurs discours pour autant que, selon la formule d’Austin, « dire c’est faire ».
Commençons par l’anthropocentrisme pratique et par ses implications en matière de discours. L’un des acquis majeurs de la philosophie du langage ordinaire a été de montrer dans quelle mesure l’acte même de parole contribuait à déterminer le sens de nos énoncés. Or, cela n’est pas sans conséquences pour la question qui nous occupe, celle de notre place dans la nature. Il y a en effet au moins une position centrale dont nous ne saurions être expulsés, celle que nous occupons par rapport à nos propres discours. Considérons l’expression du temps. Rien ne m’interdit d’embrasser une durée qui dépasse celle de mon existence, et au-delà celle de toute vie humaine. Mais, quoi que je fasse, je ne pourrai me départir de la position qui est la mienne au moment où je parle. Elle constitue le point de référence obligé de la construction linguistique et mentale du temps à laquelle je me livre. Quel que incommensurable que soit la durée que j’embrasse mentalement, spéculativement, mon énonciation n’en reste pas moins un point d’appui pratique indispensable. De façon générale, chaque locuteur occupe, sur un plan pratique, celui du dire comme faire, une position centrale.
Or, cette position peut être déterminante quant à la validité de certaines de nos affirmations. La vérité est traditionnellement conçue comme relative à la cohérence interne de nos discours et à leur adéquation au monde. Il est encore une troisième condition de vérité. Les logiciens distinguent en effet deux formes de contradiction : la contradiction logique et la contradiction performative. La première porte sur la relation entre deux contenus propositionnels. Je ne peux, par exemple, affirmer d’un même sujet qu’il est à la fois, et sous le même rapport, en repos et en mouvement. Il y aurait là deux prédicats contradictoires. N’est alors pris en compte que le contenu des propositions et non la performance qui les a rendues possibles. Il en va tout autrement avec la contradiction dite performative. Est alors envisagée la relation entre une proposition, son contenu, et l’acte qui l’a rendue possible : son énonciation par tel ou tel individu. Et c’est bien sûr le contenu exprimé qui appelle ou non cette mise en relation. Il est par exemple impossible d’affirmer des propositions comme « je suis mort » ou « je ne suis pas sincère ». Il y a alors contradiction entre ce qui est dit et le fait de le dire. Le fameux paradoxe d’Épiménide le Crétois ressortit à la même analyse. Affirmer que « tous les Crétois sont menteurs »ne pose aucun problème logique. Mais l’entendre de la bouche d’un Crétois vous plonge dans un abîme de perplexité. Il devient alors impossible de décider de la vérité ou de la fausseté de cette affirmation, l’une impliquant l’autre et réciproquement.
Certains de nos contemporains ne nous rendent pas moins perplexes en affirmant que la nature est la source des valeurs et non l’humanité comme le prétend l’humanisme moderne. Cela équivaut à déclarer qu’aucun homme ne saurait nous indiquer quelles sont les valeurs à observer, et que seule la nature est en mesure de le faire. Énoncée par un dieu ou quelque extraterrestre, cette proposition serait tout à fait recevable, mais non par un de nos congénères en humanité. Là également, ce qui est dit entre en contradiction avec le fait de le dire. Ajoutons que si les faits existent indépendamment de leur reconnaissance, il en va autrement avec les valeurs, c’est-à-dire l’orientation que nous donnons ou souhaiterions donner à nos actions. Les valeurs n’existent que pour autant que nous les reconnaissons ; elles n’existent que par l’acte même de leur reconnaissance. En imputer l’origine à la nature, c’est prétendre reconnaître un état de choses indépendant de l’humanité, lors même qu’on l’institue en l’énonçant [1].
Quoi qu’il en soit, il existe un anthropocentrisme pratique, celui qui découle de la position centrale que nous occupons par rapport à ce que nous pouvons faire et dire. Et il n’y a pas là qu’un constat abstrait, dénué de toute effectivité. Ce que nous allons vérifier en examinant les problèmes que sou lèverait l’institution d’un droit de la nature.
L’humanité a d’ailleurs développé diverses stratégies de contournement pour éluder les conséquences de sa propre centralité. Brièvement, ces stratégies sont de deux sortes. La première consiste à diviniser le langage, la seconde à le naturaliser. Dans le cadre du christianisme, le dogme de l’Incarnation permet de rendre compte à la fois de la divinité de la Parole et de l’humanité de son énonciation. La seconde stratégie consiste à naturaliser le langage, à poser une continuité de principe entre l’ordre cosmique et la pensée humaine. Cette continuité peut être pensée en termes religieux ou scientifiques. La pensée peut être réputée d’essence divine et cosmique. Ainsi en allait-il pour les Grecs. Elle est encore susceptible d’une tout autre naturalisation. Pour La Mettrie comme pour certains tenants contemporains des neurosciences et des sciences cognitives, il y a une parfaite continuité entre les mécanismes qui régissent le monde physique et ceux qui sous-tendent l’exercice de la pensée.
Mais dès que l’on passe du plan de la spéculation à celui de l’action, la centralité pratique de l’humanité recouvre tous ses droits. J’en veux pour preuve l’impossibilité où nous sommes d’édifier un système juridique qui ne soit pas anthropocentrique. Il y a à cet égard deux possibilités. Soit on envisage une extension limitée du statut de sujet de droits : par exemple, à certains animaux, voire à quelques écosystèmes pour les protéger des exactions humaines [2]. Soit on décide d’étendre ledit statut à la totalité des êtres naturels ; tel était l’esprit de « l’éthique de la terre » d’ Aldo Leopold pour qui l’homme n’est qu’un « citoyen » parmi d’autres au sein de la« communauté terrestre » [3] ; le juriste américain Christopher D. Stone défend quant à lui la possibilité de conférer des droits à tout ce qui peut être taxé d’« objet naturel » [4].
Qu’advient-il si l’on prend au sérieux ces propositions ? Il reviendra aux hommes, et aux hommes seuls, sous la pression de certains d’entre eux, de conférer un tel statut au-delà des limites de l’humanité. Ce qui constitue une première vérification de l’anthropocentrisme pratique. Dans le cas de la seconde proposition, celle d’une extension absolue, on se trouve confronté à un pur et simple anthropomorphisme. Nous serons obligés de faire comme si les animaux, les plantes, les rivières nous avaient demandé de bénéficier de tels droits. Il faudra faire comme si une rivière préférait s’adonner à la joie des méandres au lieu de se voir endiguée entre des parois de béton [5]. En cas de crime contre l’écosphère, qui punira-t-on ? Probablement quelques représentants de la gent humaine. Ce qui est encore une manière de reconnaître la facticité de l’extension du statut de sujet de droits.
On peut encore aller plus loin. Prendre au sérieux la proposition d’ Aldo Leopold devrait avoir pour conséquence une extension de l’état de droit aux relations entre les êtres naturels. Il faudrait traiter les conflits survenant entre animaux ou espèces animales. On aurait alors affaire à un anthropocentrisme redoublé. Une action en justice suppose en effet que des personnes (probablement humaines… ) soumettent une contestation sur un droit pour la faire trancher par un juge (humain… ).
Si l’on retient l’idée d’un procureur chargé de défendre la cause des êtres naturels considérés comme des personnes morales, on sera alors confronté à diverses difficultés. En cas de conflit entre certains représentants de l’espèce humaine, voire l’espèce elle-même, et tel écosystème, il incombera aux hommes seuls de déterminer l’intérêt de cet écosystème (relatif à un droit), de donner un mandat au procureur et d’en définir la mission. Il y aura confusion entre le mandant (l’écosystème) et le mandataire ; ce dernier ne pourra en outre rendre compte qu’à lui-même. Je reprends ici l’argumentation de maître Christian Huglo [6].
L’espèce humaine ne peut être effectivement considérée comme une espèce parmi d’autres. Tous les efforts que l’on peut déployer en cette direction reconduisent l’humanité à la position éminente dont on veut, ce faisant, l’exclure. L’idée d’un droit de la nature considérée comme ayant une valeur intrinsèque est insoutenable : cette valeur n’existe que pour l’humanité et que pour autant qu’elle la concède elle même à la nature.
L’anthropocentrisme spéculatif
Il y a, en revanche, des formes surannées et dangereuses d’anthropocentrisme spéculatif. Mais avant d’en arriver là, il convient de prendre acte de la pluralité et de la complexité des discours tenus quant à la place des êtres humains dans la nature. Il est en effet difficile de trouver une culture où l’humanité n’occupe pas, d’une manière ou d’une autre, une certaine centralité.
Le cas du christianisme est à cet égard intéressant. Il n’est pas possible, sans réduction, de qualifier uniment le christianisme de religion anthropocentrique [7]. En premier lieu, l’anthropocentrisme chrétien n’est que la conséquence d’un théocentrisme primordial. La centralité relative de l’homme au sein de la Création est la conséquence de l’extériorité de Dieu au monde, qui découle du concept de creatio ex nihilo [8]. A l’image de son Créateur, l’homme ne peut disposer que d’un statut particulier parmi les autres créatures. Et pour tant, la centralité de l’homme n’implique nullement que le cours du monde soit ordonné à la créature humaine, ni même aux relations entre Dieu et l’homme. Tel est le sens de la remarque divine adressée à Job : « Où est-ce que tu étais quand je fondai la terre ? » Tel est encore le sens de cette affirmation du Christ des Évangiles : « Il pleut sur les jus tes comme sur les injustes. » Enfin, le géocentrisme légué par Ptolémée à la chrétienté médiévale n’a pas grand-chose à voir avec l’arrogance humaniste décriée par certains. Le centre en question fait plutôt figure d’anus mundi. Le corps de pensée attaché à une civilisation dont on a pu dire qu’elle était éminemment anthropocentrique cache une réalité plus complexe.
Considérons l’une des plus grandes civilisations, celle de la Chine. La situation est, comme le montre ici même Pierre Gentelle [Chine : comment vivre son milieu ?], rigoureusement inverse. Alors que la culture chinoise ne passe pas pour particulièrement anthropocentriste, elle n’en comporte pas moins un moment anthropocentrique. Par nature ou naturel, la pensée chinoise entend ce qui vient spontanément à l’existence. Elle se distingue de la pensée grecque en concevant la venue à l’existence comme une alternance au sein de couples unis d’opposés (jour/nuit, chaud/froid, etc.) et comme un mouvement : la nature est à la fois condensation (yin) et dilution-expansion (yang). L’homme lui-même s’inscrit à l’intérieur de ce processus en quoi consiste la nature. Mieux encore, l’homme doit apprendre à se conformer aux relations et règles inhérentes à la nature. La société bonne est celle qui observe les règles cosmiques. Or, cette conception de la nature comme un ordre cosmique qui embrasse et dépasse l’humanité n’exclut pas une autre conception de la nature, en un sens plus restreint. La nature, ainsi que nous l’apprend encore P. Gentelle, est aussi l’environnement : c’est-à-dire tous les éléments divers – tels l’arbre, le taillis, l’oiseau, les saisons, etc. – qui environnent les hommes. En ce sens, elle apparaît clairement au service de l’homme, de son bien-être et de son enrichissement.
L’animisme africain offre peut-être une configuration voisine. De façon générale, l’homme y apparaît comme un être naturel parmi d’autres, immergé dans une nature à laquelle il ne s’oppose pas et dont il ne prétend pas être le maître. Le cas particulier des Dagara, étudié ici par Constantin Dabiré [Afrique : le « mythe » de la vie en symbiose], laisse entrevoir néanmoins la possibilité, dans un tel cadre, d’un moment anthropocentrique, fût-il condamné. Les Dagara affirment la consubstantialité entre le corps humain et la terre (l’argile) et vouent un culte à la croûte terrestre. On ne laboure pas la terre sans en implorer au préalable le pardon. Or, cette tradition fait également état d’une catastrophe originelle, contemporaine de l’apparition de l’homme au sein du cosmos. Les premiers hommes, qualifiés de « derniers venus », s’opposèrent alors à l’ordre cosmique pourtant paradisiaque. Les différentes espèces vivaient en parfaite harmonie et il suffisait de tendre la main pour atteindre le ciel et tous les biens qu’il offrait. De cette révolte initiale résulta un conflit généralisé : celui opposant les différentes espèces vivantes, aussi bien que l’homme et la nature. De cette catastrophe inaugurale, les Dagara tirent leur sagesse : les hommes, nous apprend C. Dabiré, sont invités à renoncer à leur originalité et à leur volonté de domination. On retrouve à nouveau la situation d’une tradition non anthropocentriste comportant, à titre de moment fondamental, l’affirmation d’une centralité de l’homme [9].
L’hypothèse selon laquelle on pourrait opposer des cultures anthropocentristes à d’autres, dépourvues de tout péché d’anthropocentrisme, n’est guère soutenable. Mieux vaut admettre, selon l’expression de Joseph Ki-Zerbo, que le « regard d’une société sur la nature est toujours pluriel » [10]. Quoi qu’il en soit, on peut risquer l’hypothèse d’une universalité de l’affirmation, dominante ou marginale, de la centralité de l’espèce. Peut-être est-ce possible de voir là une des conséquences du caractère incontournable de l’anthropocentrisme pratique ?
Qu’en est-il lorsqu’on se tourne vers l’expression philosophique ou scientifique de la pensée ? Le constat semble identique. Considérons en premier lieu les œuvres de Spinoza et de Heidegger auxquelles se réfèrent volontiers les ennemis déclarés de toute forme d’anthropocentrisme.
Si le système spinoziste n’est effectivement pas anthropocentré, il n’en demeure pas moins théocentré. Ce qui n’interdit nullement à Spinoza la reconnaissance, sur un certain plan, du primat des choses humaines. Dans L’Éthique, il ne se montre guère sensible à la souffrance animale. Mais il y a plus encore. Spinoza fut l’un des fondateurs du libéralisme politique. Son œuvre montre ainsi l’absurdité qu’il y a à vouloir obstinément pourfendre l’anthropocentrisme.
On peut voir dans l’ontologie heideggerienne une critique radicale de l’humanisme cartésien, c’est-à-dire de la centralité ontologique de l’ego cogito. L’ego sum devient en effet, avec Descartes, l’étant par excellence, celui autour duquel s’organise, dans une certaine mesure, la totalité de l’étant. L’antihumanisme de Heidegger n’en reste pas moins solidaire d’une certaine forme d’anthropocentrisme. Le Dasein, candidat à la succession de l’ego cogito, n’abdique pas réellement toute position centrale : s’il n’est plus au centre de l’étant en totalité, il n’en demeure pas moins au cœur du rapport de l’Etre avec lui-même, de son autodestination. L’humanité appartient au rapport que l’Etre entretient avec lui-même ; elle lui est pour cela indispensable [11].
C’est peut-être du côté des sciences de la nature qu’il convient de rechercher une pensée délivrée de tout anthropocentrisme. Telle était par exemple l’ambition de Jacques Monod. La science lui paraissait rompre avec l’ « ancienne alliance » entre l’homme et la nature, sur laquelle reposaient à ses yeux toutes les autres formes de pensée, « des aborigènes australiens aux dialecticiens marxistes » [12]. Peu importe pour Monod la place que les hommes prétendaient occuper dans la nature, l’essentiel est qu’ils aient cru se voir assigner une place par la nature ; ce qu’il qualifie d’« illusion anthropocentriste » [13]. Ainsi compris, l’anthropocentrisme se réduit à la croyance animiste selon laquelle la nature possède elle-même la capacité propre à notre système nerveux de déterminer des fins [14]. Au lieu de quoi il conviendrait de se convaincre de la « totale solitude », de « l’étrangeté radicale » de l’homme dans l’univers [15]. Or, cette solitude nous reconduit à la position même de l’humanisme moderne pour lequel l’homme est la source des valeurs : « Les valeurs ne lui appartenaient pas : elles s’imposaient et c’est lui qui leur appartenait. Il sait maintenant, écrit Monod, qu’elles sont à lui seul » [16]. L’étrangeté même de l’homme à l’univers le contraint à se référer à lui seul, à s’instituer centre et fondement de ses décisions. Qu’il s’enquiert à partir de là, avec la connaissance, d’une autotranscendance est une autre affaire.
La critique que James Lovelock intente, toujours au nom de la science, à l’humanisme et à l’anthropocentrisme recourt à une argumentation différente. Le problème n’est plus alors la place de l’homme au sein de l’univers, mais plus modestement sur terre. Et c’est précisément la conception de la terre, gratifiée pour l’occasion du nom de Gaïa, comme un gigantesque système vivant, autorégulé, qui change les données du problème. Du point de vue même de Gaïa, l’espèce humaine ne jouit d’aucun privilège ; elle n’est qu’une espèce parmi d’autres. Et c’est évidemment là que le bât blesse à nouveau. D’un côté, Lovelock nous avertit sèchement de la menace qui pèse sur l’humanité : le « but inconscient » de Gaïa « est une planète propre à la vie » [pas nécessairement la nôtre]. « Si les humains lui font obstacle, nous serons éliminés avec aussi peu de pitié que n’en témoigne envers son objectif le microcerveau d’un missile nucléaire intercontinental en plein vol. » [17]. De l’autre, il imagine que l’on soit un jour obligé, après avoir endommagé Gaïa, « de prendre en main nous-mêmes la responsabilité permanente de garder la Terre dans un état favorable à la vie, service qui est actuellement fourni gratuitement » [18]. Mieux vaudrait n’être jamais contraints d’en arriver là, ce qui est également l’opinion de Lovelock qui parle des « conséquences effroyables » qui suivraient un tel état de choses [19]. Laissons là cette perspective inquiétante pour n’envisager que la relation entre les deux assertions de Lovelock. La place conférée à l’humanité semble changer du tout au tout : victime anonyme de Gaïa, l’humanité apparaît ensuite comme un apprenti-sorcier, candidat potentiel et téméraire à sa succession. Certes, du point de vue de Sirius ou de Gaïa, l’espèce humaine ne compte pas plus que n’importe quelle autre. C’est un plan sur lequel la dénonciation par Monod de « l’illusion anthropocentriste » est incontournable [20]. Il n’en reste pas moins vrai qu’elle est, entre toutes les espèces, la seule à pouvoir exercer le rôle autrement positif de « médecin planétaire », selon l’expression même de Lovelock [21]. Et compte tenu de l’étendue de l’agir humain, il est d’ores et déjà possible de parler d’un copilotage homme/nature de la Terre. Ce qui revient à reconnaître le principe d’une certaine centralité de notre espèce, quels que puissent être par ailleurs les efforts déployés en vue de sa réinscription dans la nature. On retrouve là l’opposition entre les points de vue spéculatif et pratique. Remarquons encore que cette centralité même nous rend responsables de et pour la nature.
L’étude de la notion même d’anthropocentrisme nous conduit à dresser le constat suivant : l’anthropocentrisme est indépassable. En premier lieu, l’anthropocentrisme est, sur le plan de l’action, incontournable. Ce qui a été notamment établi à propos des contraintes inhérentes aux systèmes juridiques. En second lieu, il semble impossible de discourir sur la place de l’homme dans la nature sans faire état, à un moment ou à un autre, et sous certaines conditions, de la position centrale qui est la sienne.
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