Cyrille : Vous êtes bien sur Radio Libertaire 89.4 FM. On va faire une émission pendant le confinement, nous sommes le 8 avril. Pour cette troisième partie de l’émission consacrée au coronavirus [1] nous allons parler des conséquences du déconfinement. Alors, là on n’y est pas encore : on imagine que ça va être vers mai-juin [2]… On va aborder d’abord les conséquences politiques, déjà sur la question du retour des frontières. Puisque, au moins en Europe, on va, semble-t-il, vers un retour plus strict des frontières. Quentin est ce que tu peux nous en parler ?
Quentin : Le retour des frontières est ce qui s’annonce un petit peu partout, c’est ce qui se dit. Mais on n’est pas du tout sûr de ce qu’il va en être en réalité. Ça va dépendre des leçons qui seront tirées de la crise à la fois par l’oligarchie et par la population. La population qui, en général et depuis très longtemps, est favorable au rétablissement des frontières va-t-elle profiter de l’occasion pour essayer de peser dans la balance ? Alors retour des frontières ça veut dire énormément de choses parce que depuis l’après-guerre nous sommes plutôt dans un moment d’effacement des frontières, en Europe dans tous les cas, et dans le monde d’une manière général. Autrement dit, c’est vraiment un coup d’arrêt à une évolution déjà ancienne, qui a structuré le monde depuis plus d’un demi-siècle et qui conditionne aussi bien les échanges économiques, que l’immigration, que les processus de production, etc.
Un aspect qui devrait nous intéresser en tant que libertaires – ou provenant de milieux libertaires… – c’est que sous cette notion de frontières, avec laquelle a priori nous sommes assez en désaccord, implique la notion de souveraineté c’est-à-dire la notion de territoire sur lequel un peuple décide. Ça c’est un clivage de fond qui n’a jamais vraiment été discuté : il y a les frontières qui séparent, les frontières cicatrices de l’histoire, les frontières qui isolent, etc., mais il y a aussi les frontières qui permettent à des gens, à un moment donné, de décider : lorsqu’on est en assemblée générale, il y a des frontières ; lorsque qu’on forme un groupe et que l’on décide, il y a des frontières à ce groupe-là, il y a des gens qui sont dedans et d’autres qui sont dehors. S’il n’y a pas de frontière il n’y a pas de souveraineté. Il me semble qu’il y a là une occasion à saisir pour porter les discussions sur l’échelle de la souveraineté : veut-on une souveraineté à l’échelle européenne, à l’échelle nationale, à l’échelle régionale, à l’échelle de la commune, etc. Il est possible que ce genre de réflexion se généralise à la sortie du confinement et que l’on tire un bilan de ce qu’on a appelé « la mondialisation », soit une ouverture inconsidérée de tout vers tout, et que l’on revienne dessus pour que cela soit assez fertile en termes de réflexion et d’orientation très générale de la société. Parce qu’à partir du moment où on a un espace pour décider, on peut se demander de ce que l’on décide, enfin, donc du monde que l’on veut. En quelque sorte ce retour des frontières peut tout à fait être une chance pour des gens qui cherchent à réorienter la direction que prennent nos sociétés.
C : Ça c’est le côté retour de la souveraineté. C’est vrai qu’avec les instances européennes les oligarchies ou les lobbies étaient très puissants, plus puissants que le suffrage universel. Même si nous pensons que le suffrage universel, c’est déléguer et donner un chèque en blanc à des décideurs, c’est encore pire si ce suffrage universel n’est pas souverain c’est-à-dire est complètement inutile. Là, effectivement, les frontières redonneraient un peu de souveraineté par exemple aux États-nations, ce qui serait enfin un peu plus démocratique. Mais il y a aussi le retour des frontières pour contrôler, pour empêcher que le virus se répande. Et là c’est plus la partie coercitive qui revient : c’est l’État nation bête et méchant, celui qui emprisonne… La situation fait que l’on est dans les mêmes slogans que dans les années 70 : « État nucléaire, État militaire ». Le fait qu’il y ait une maladie, une contagion, fait qu’il y aura un contrôle policier derrière : on retourne à du coercitif de manière plus forte. Certains libertaires disent qu’on est déjà dans un état policier, mais ça peut être pire…
Q : De toute façon, une première remarque : l’État n’a pas attendu le rétablissement des frontières pour être coercitif. On avait jusqu’à maintenant un État avec une capacité de répression mais qui floutait les frontières, donc à la limite ce sont deux phénomènes différents. Et, au contraire, une fermeture des frontières peut obliger à redéfinir une politique policière : ça replace le débat au centre de l’espace public, ça peut obliger à rediscuter de tout, y compris de ça.
Ensuite le processus coercitif va continuer, mais il faut savoir de quoi on parle. C’est-à-dire qu’il y a aussi dans les forces de police un énorme mécontentement qui dure depuis des années. On a vu au tout début du mouvement des Gilets jaunes quelques jours où les policiers ont vacillé, ont failli rejoindre les Gilets Jaunes… On sait comment ça s’est passé : la violence s’est rapidement mise en place et la violence est toujours la meilleure manière de séparer les camps et de les rendre irréconciliables [3]. Mais il ne faut pas croire non plus que les forces de police, les forces de gendarmerie ou l’armée, soient prêtes à servir n’importe quel dessein de l’État, je ne suis pas sûr du tout. Je pense qu’il y a énormément de dissensions à l’intérieur des forces de police : la preuve c’est que apparemment plus de la moitié des forces de police vote pour Marine Le Pen, ce qui montre une distance vis-à-vis de la politique qui était menée jusqu’à maintenant. Il va y avoir un renforcement, ça c’est assez sûr, des méthodes de surveillance et de contrôle grâce notamment à l’informatique, le tracking qui risque de se mettre en place assez rapidement, mais je ne suis pas certain que les forces de police les suivent toutes.
Ensuite, s’il y a vraiment du coercitif, il peut y avoir aussi un mouvement de re-discussion de l’identité collective : c’est-à-dire au nom de quoi nous avons des lois et nous les faisons respecter. J’ai notamment en tête ce qu’on appelle les territoires perdus de la nation qui se trouvent en banlieue dans lesquelles la répression est très spécifique à ces milieux-là ;l’État, aussi policier peut-il être, tolère dans énormément de territoires en France des poches quasi-mafieuses ou de non-droit. Alors l’épisode de sortie du confinement va-t-il être le moment où l’État va reprendre le contrôle de ces territoires ou, au contraire, est-ce que ce sera un moment de sanctuarisation et d’un fonctionnement à deux ou trois vitesses en fonction de la classe sociale et en fonction du lieu de résidence ou des forces locales qui seront capables de s’opposer aux forces de l’État ? Je ne sais pas du tout ce qui va se passer, à cette échelle-là, et je pense que ce n’est pas joué du tout.
C : Si on prend l’exemple d’États autoritaires comme la Russie – on a fait des émissions dessus – ce qui caractérise Poutine, c’est justement ce côté mafieux. Quand il veut contrôler une situation, par exemple au moment de la coupe du monde en Russie, la technique pour avoir la paix, c’était d’aller vers les hooligans, néo-nazis pour la plupart, de trouver le chef, de lui donner de l’argent, de lui donner du pouvoir et en même temps de lui dire : « Écoute, c’est simple : s’il y a quelque chose qui dérape on va être très méchant avec toi. Mais par contre si tu participes, si tu pacifies les choses, ça va aller… » J’ exagérer un peu, mais Castaner est un peu dans cette attitude, il a tout de suite été sur le côté : « la banlieue c’est pas la priorité ». On voit la catastrophe que ça donne aujourd’hui : cela revient en fait à les condamner en disant que si on commence à taper dans la fourmilière ça va être le bordel. Donc on ne fait rien, on laisse les choses telles qu’elles sont et je ne vois pas en quoi le déconfinement changerait les choses. Je ne vois pourquoi ça pousserait l’État à récupérer certaines parties de la société puisque lui ce qui veut, lui, c’est la paix.
Q : C’est ce qui se passe aujourd’hui de fait, et depuis 30 ou 40 ans. Mais tu as raison, l’État passe des accords tacites ou explicites avec les mafias de banlieue, avec les islamistes, avec les communautés de plus en plus, les promeut jusqu’au cœur de l’État – je pense à Hakim El Karoui [4], Bellatar, etc. On tente d’acheter la paix sociale mais ça ne marche pas, ça ne marche pas du tout. Il n’y a pas du tout de pacification des banlieues. Il y a au contraire une islamisation et une tiers-mondisation générale.
En fait je crois que l’on est en train de discuter de deux choses différentes : d’un côté l’État, la Nation et de l’autre côté un monde de type impérial. Le monde de Poutine que tu décris est plutôt un monde impérial une société assez particulière où il y a une prise en tenaille de la population entre les oligarques – véreux la plupart du temps, c’est une maffia – et les vraies maffias, en dessous, qui imposent la terreur dans les quartiers et auprès du petit peuple. Là il y a une collusion, une collaboration, objective ou effective, entre le haut et le bas de la société. Dans ce monde-là, c’est très très difficile d’arriver à organiser une dissidence lorsqu’on fait partie de la couche du milieu, de la majorité de la population, parce qu’on est pris en tenaille. C’est cette prise en tenailles, je pense, que tu es en train de décrire. Les États-Nations tels qu’ils ont existé durant des siècles, n’ont pas marché de ce pas-là : il y avait une oligarchie qui passait un contrat avec la société et les mafias gardaient au moins une distance vis-à-vis de l’autorité des autorités étatiques et vis-à-vis de la population. Donc on parle de choses différentes
Quant au retour à l’État-Nation tel qu’on l’entend, avec des frontières nettes, avec un État tel qu’on l’a connu, etc., je pense qu’il y a, peut-être, des parties de l’oligarchie, de l’État profond ou fondamental, qui voudra reprendre les territoires en main et tous les territoires. C’est le but d’un état moderne tel qu’on l’a connu : régner sur un territoire sans partage, sans négocier avec des mafias. Là je pense qu’il y a un choix que l’oligarchie va être obligée de faire en sortant du confinement et à mon avis ça fait partie des grandes discussions qu’ils ont, c’est cette bascule : revient-on à un État-Nation ou est-ce qu’on continue l’évolution telle qu’on l’a dessiné depuis 50 ans, de type impérial, avec des frontières floues, avec un État qui peut être autoritaire, mais qui n’est en rien démocratique ?… Jusqu’ici en Occident on pouvait avoir un État relativement autoritaire mais, malgré tout, il y avait un minimum de critères démocratiques. Ça, ça peut être balayé, la direction est prise depuis un certain temps : l’élection de Macron étant quand même presque un putsch [5], sans parler auparavant du traité européen de 2005, etc. De plus en plus, les mécanismes démocratiques sont enrayés. Alors il est possible que le retour de l’État-Nation réenclenche une dynamique démocratique mais rien n’est moins sûr, et il faut que la population en ait envie et ça ce n’est pas sûr du tout non plus. Il est possible que la population ait juste envie de revenir à la normale, n’ait pas envie de se mêler de politique, ait juste très envie que ça marche bien… Tout le monde a envie avec ça marche bien, mais la démocratie ce n’est pas simplement ça, c’est mettre les mains dans le cambouis : on s’intéresse à la chose publique, on pose de vraies questions, on en discute, on se fait une vraie opinion, on ne va pas raconter n’importe quoi, on ne tombe pas dans le complotisme, dans les fake news, etc. C’est extrêmement exigeant et ça fait des décennies que l’on n’a pas connu ça. On a connu un sursaut démocratique lors du traité européen de 2005 par exemple : les gens se sont mis, en tout cas une partie de la population, à éplucher le traité pour se faire un avis. On pourrait retrouver ce genre d’élan, ce sera intéressant.
C : On a parlé du retour du coercitif et tu commençais à embrayer sur la réaction des gens mais entre les deux il y a la crise économique. Effectivement, l’État est en train d’investir énormément pour sauver les sociétés donc on peut imaginer, au mieux, qu’il y ait une politique d’austérité derrière pour récupérer tout l’argent investi. On se demande quel va être la réaction et les gens vont-ils pouvoir réagir, tout simplement ? Parce que, toujours pour comparer avec la Russie, à un moment de changement dans le système par exemple, une crise économique, c’est un peu la stratégie du choc : on se prend tout dans la tête mais on accepte ce que décident les grandes sociétés, le capitalisme, des changements de loi, etc. Et on est complètement écrasé par le par le chômage, par le manque d’argent, etc.
Q : La grande différence avec la Russie et que je ne suis pas certain que les peuples français ou européens soient prêts à vivre tranquillement une crise économique avec un taux de chômage à 30% au minimum… Je ne suis pas sûr que ça se fasse tranquillement…
C : Non, pas tranquillement mais disons que, par exemple en Russie en 91, lors du putsch, il y avait d’énormes manifestations. On passait d’un système où tout est étatisé à rien, avec derrière des idéologues, les Chicago-boys qui disaient : « Allez on va trancher dans le lard, on va couper les salaires, etc. ». Les gens à l’époque étaient peut-être très politisés mais ils n’avaient plus rien à manger, plus rien, et du coup ils se retrouvaient à survivre. Le mouvement social qui était enclenché et qui était énorme s’est arrêté, net. Les gens se sont retrouvés à vendre ce qu’ils avaient chez eux dans la rue… C’est une période qui est encore dans les mémoires, en Russie, alors que ça fait plus de trente ans maintenant. Donc pour tout mouvement social, s’il y a en même temps des nécessités vitales, lors d’une politique d’austérité très forte, ça risque de nous couper l’herbe sous le pied.
Q : On verra… Mais je pense que les sociétés occidentales sont biberonnées au consumérisme depuis deux ou trois générations et ce n’était pas le cas de la Russie qui a vécu des choses difficiles – même si ça s’était largement assoupli depuis les années 60. Je ne pense pas que ça se passera tranquillement, je pense que les gens vont péter les plombs. On le voit déjà là : on leur demande rien, juste de rester à la maison tranquillement et on sent que ça bout partout. Comme dirait l’autre on n’est pas en train de demander aux gens de partir au front ; on leur demande simplement de rester à la maison et de regarder la télé… Et on voit les critiques, le ressentiment, les gens trouvent ça insupportable, dès qu’il y a un rayon de soleil, ils sortent, ils trouvent ça très dur, etc. Alors on sort, on n’en a rien à foutre… On verra…
Mais c’est très intéressant que tu parles de la fin de l’Urss parce que, nous, on est en train de vivre en fait le phénomène inverse : on est en train de voir une étatisation de l’économie. Là en fait, si je veux un peu provoquer, on ne vit plus dans le capitalisme. Depuis les annonces du gouvernement il est question de recapitaliser, il est question de prêter à des taux très bas, il est question de ré-nationaliser, ou de nationaliser même…
D : … en Espagne ils interdisent les licenciements, ils parlent de la mise en place d’un revenu universel…
Q : Absolument. Nous ne sommes plus dans un régime capitaliste au sens où on l’entend ; on est dans un État qui prend tout en main et qui décide de tout. Alors, évidemment, c’est transitoire, de manière à ce que le confinement se passe le moins mal possible. Mais, de fait, l’État est en train de reprendre des droits sur le monde économique alors que le propre du capitalisme est que la sphère économique est indépendante – elle prend elle-même ses propres décisions. Si cette tendance se confirme, en partie du moins, c’est-à-dire qu’on renfloue les hôpitaux, les services publics, on recapitalise, on nationalise, on relocalise des filières que l’on juge vitales – alors quelles filières juge-t-on vitales ? C’est des questions qui se posent … – eh bien là c’est un monde qu’on ne connaît pas et personne ne peut anticiper…
Nous sommes là dans une crise économique qui s’annonce extrêmement profonde et qui part, comme tu l’as très bien dit en off, d’un arrêt réel de la production – ce n’est pas un défaut intérieur [aux mécanismes capitalistes], ce n’est pas une spéculation qui s’enflamme, ce n’est pas une bulle qui éclate… C’est simplement qu’il n’y a plus de production, mais on continue de payer des gens. L’État est en train de se surendetter, et jusqu’ici la réaction des économies lors de ces épisodes était une production monétaire : on fait tourner la planche à billets. Ce qui n’est pas durable évidemment. Donc très certainement que l’Euro va adoucir un petit peu le choc, mais il n’est pas sûr qu’il tienne le coup, on verra. Mais alors là ça sera la fin de l’Union Européenne tel qu’on l’a connue. Dans ce cas-là, c’est un sauve-qui-peut, il n’y a plus de coordination internationale et ce seront tous les États qui se rabattront sur leurs propres devises, leurs propres réserves…
D : Quid des entreprises qui payent actuellement des locaux vides ? Si la crise continue sur 4 - 5 mois, ils vont lâcher les locaux, ils vont tout lâcher…
Q : Une partie des artisans vont mettre la clé sous la porte, tout comme des entrepreneurs, des commerçants… Alors l’État promet aujourd’hui qu’il va tout assurer…
D : Mais avec quel argent ? Et comment ?
Q : Pour l’instant il crée de l’argent… Mais il va bien falloir qu’il le récupère un jour, on va voir comment ça se passe… Il pourrait y avoir une coordination internationale : c’est ce que tente de faire Macron en ce moment avec les « Euro-bons », il propose de mutualiser les dettes, les emprunts des différents pays européens. Mais il y a une dissension entre l’Europe du Sud, dont la France, qui est pour évidemment, les pays du Nord, dont Allemagne, qui ne sont pas d’accord du tout. On spécule parce qu’il y a énormément d’incertitudes et on ne sait pas du tout ce qui va se passer. Il est certain en tout cas qu’on rentre dans un moment assez mouvementé…
C : Que serait un mouvement social dans ce cadre-là ? Est-ce que ce sera un mouvement social de type émeute, guerre civile… ? Si on compare à des plans d’austérité type stratégie du choc, comme ce qui se passe assez régulièrement dans le monde en général, et qui tuent le mouvement social, les gens étant dans la survie, ils arrêtent tout – toi tu penses que ce n’est pas possible en Europe. Donc du coup quelle forme aurait ce mouvement social s’il y en a un ? Sachant que derrière il y a aussi les restrictions liées au confinement, c’est-à-dire qu’on voit mal des manifs de Gilets jaunes le samedi après le confinement…
Q : D’abord, et je pense que ça fait transpirer les gouvernants, il est aussi possible que le confinement ne tienne pas, que les gens décident de le rompre au bout d’un moment si cela dure trop longtemps. Parce que c’est trop inconfortable, parce qu’il fait trop beau dehors, parce que psychologiquement les gens ne tiennent plus, qu’économiquement il y a des problèmes… Ça je crois que c’est une des perspectives assez inquiétante pour les gouvernants, perdre toute autorité sur les populations donc perdre le contrôle de la situation…
C : Sachant qu’en fait le confinement est forcément temporaire puisque en fait la contagion se fait malgré le confinement ; c’est une maladie qui est tellement contagieuse que le confinement ne suffit pas à [stopper] la contagion mais il permet aux services de santé de gérer les choses pour qu’il n’y ait pas d’augmentation brutale… Ça fait penser aux politiques de la Hollande et de la Suède qui ont décidé de faire monter le nombre de contaminés en disant que toute façon au bout d’un moment tout le monde serait contaminé.
Q : Ils cherchent l’immunité collective. Ce n’est pas la stratégie que la France a choisie, pour x raisons, ce n’est pas sûr que ce soit la meilleure. Mais le confinement en Chine a duré deux mois et demi – on n’en est pas encore à un mois en France… On approche de l’été…
D : … en Angleterre ils en sont vite revenus de l’immunité collective.
Q : Aux États-Unis aussi, évidemment. Pour en revenir au mouvement social : je pense que le modèle c’est les Gilets jaunes. Je pense que le terme [« mouvement social »] est impropre puisque c’était un mouvement qui ne correspondait plus du tout aux critères qu’on donnait d’un mouvement social de la fin des années 80 à 90 : un mouvement qui est encadré par les syndicats [ou des groupes auto-constitués], qui est foncièrement de gauche, qui s’oppose à une mesure très précise, qui a des représentants, des délégués avec des cahiers de négociations, etc., on connaît la typologie… Les Gilets jaunes, le mouvement du début – on va dire novembre-décembre 2018, puisque après ça a été autre chose – a été complètement récupéré [6] – le mouvement des Gilets jaunes, au départ, me semble être le paradigme d’un mouvement populaire tel qu’il pourrait advenir : horizontal, sans chef, qui part d’un ras-le-bol, qui n’a pas de perspectives très claires mais qui est très très offensif, très populaire et qui veut viscéralement le monde tel qu’il a été, on va dire, durant des « Trente Glorieuses ». C’est l’horizon indépassable : revenir au monde des Trente Glorieuses. Je pense que s’il y a un mouvement devant nous ce sera ça ; essentiellement, au fond, des gens qui voudront revenir au monde d’avant. Alors ce n’est pas simplement un mouvement social au sens où ce n’est pas simplement contre des mesures gouvernementales de type réforme du travail ou Cpe, liées à des réformes économico-sociales – ce sera plutôt un mouvement contre un type de société. Et le mouvement des Gilets jaunes, ça a été ça. D’où le côté hétéroclite des revendications, et ça c’est inévitable dans un mouvement qui est spontané et populaire : c’était des revendications qui partaient dans tous les sens mais qui sont politiques au sens où elles voulaient englober tous les domaines – la fermeture des frontières, des élus qui ne soient pas corrompus, la limitation de la pollution, une annulation de la limitation de vitesse sur les nationales, etc [7]. Je pense que le modèle ce sera ça, parce que tous les appareils d’encadrement – les partis, les syndicats, etc. – sont et vont être complètement dépassés. Je ne crois pas du tout que les gens soient prêts à défiler en rangs derrière une banderole pour réclamer… Pour réclamer quoi ? Si on a une crise économique réellement aussi énorme qu’on l’annonce, ce ne sera pas simplement des banderoles ; c’est un monde qui va s’effondrer et les gens voudront retrouver ce monde-là…
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